Numéro 7, automne 2021

Maquillage zébré sur le visage, aux formes aussi nettement dessinées que le démantèlement progressif des droits sociaux, on prendra des chemins de traverse avec Emmanuel Beaubatie en liant changements de sexe et mobilités sociales ; on se glissera dans la peau d’une traductrice habitée par une artiste aux identités multiples ; on enfilera une paire d'ailes pour questionner le concept de hiérarchie (en faisant un petit feu au passage) ; on traînera la savate, 8-6 à la main, pour trouver enfin LA VÉRITÉ sur le mot schlag ; on furètera dans les recoins d'une revue indépendante avec un collectif de photographes qui refuse toute récupération ; on interrogera les images manquantes d'une cinéaste des indépendances ; on ouvrira une boîte à outils des graphies non-binaires pour décoincer nos langages puis on chantera à tue-tête Papaoutai dans la cour de récré.

Tissant des liens entre générations, on s’enivrera alors de l'ESPRIT VIEILLE, avec un dossier sur le potentiel subversif du grand âge, parce que du courage et de l’audace, en cet automne 2021, il en faut — toutes générations dehors et solidaires contre la start-up nation.

Collaboratrices de ce numéro

Conception graphique de la couverture : Pauline Barzilai

Conception graphique de la maquette : Eléonore Jasseny

« Allez hop, mamie ! ont dit les extraterrestres, Monte dans le vaisseau spatial. » La vieille dame prélevée au centre commercial eut l’air étonnée, puis ravie, puis un éclair de pure horreur passa sur son visage. « Est-ce que quelqu’un vous a donné mon nom ? », demanda-t-elle. « Racontez-nous à quoi ressemble votre planète », dirent les extraterrestres, souriantes. Alors la vieille dame soupira, s’assit dans la soucoupe, détacha ses sandales et commença :

« Je vends des noix de bétel devant le supermarché. Quand j’ai envie d’un remontant, je vais voir Libero à Station Dwich, pour un p’tit café. Je montre mon pass, pour m’asseoir, c’est à cause de mes pieds… »

« Quel rapport entre le café et ce que vous appelez le pass ? C’est une sorte d’échange, une monnaie ? »

« Non, c’est le pass, c’est le papier qu’ils donnent après l’injection, le motif carré… on le lit avec une machine… »

« Sur votre planète, des machines lisent les injections ? Et Libero ? »

« Libero, c’est mon cafetier de Station Dwich. Le pass, il le lit pas pour son plaisir, il me demande toujours au passage des nouvelles de mes petits-enfants… puis j’ai voulu aller au cinéma après la journée… oh, je crois que je me suis trompée de cinéma. À l’entrée c’était pas Leftaris, le guichetier que je connais, lui aussi me demande des nouvelles, non, c’était une autre, et là, plus de pass ! J’ai voulu dire que je l’avais oublié chez Libero, peut-être, mais on m’a demandé où c’était et là, il semblait que personne ne connaissait Station Dwich ! Alors tout le monde s’en est mêlé… la guichetière a dit : “Il est où le pass ?” et elle a grommelé qu’elle était pas payée des cacahuètes pour embêter les mamies et elle a appelé le gérant qui a dit “Il est où le pass ?”, mais il était aussi vieux que moi et ne savait pas lire les codes carrés et il a appelé la directrice qui a dit : “Il est où votre satané pass ?” En moins de deux, y’avait toute une petite foule. »

« Mais nous avions compris que sur votre planète, c’était un groupe appelé la police qui demandait les papiers ?»

« Mais les papiers ont changé, comment vous expliquer ? Ils se sont multipliés depuis la pandémie… et la police aussi s’est multipliée, mais elle est habillée comme vous et moi, elle se cache dans le cafetier, dans la guichetière… enfin, elle n’est pas vraiment habillée comme vous, avec vos drôles de carapaces noires. »

« Mais ce pass, Madame, il est où ? »

« Vous êtes de la police ? Je ne vous avais pas reconnues, avec ces carapaces noires. Vous étiez pas bleues avant ? »

 

« Changer de sexe, c’est passer une frontière sociale »

Entretien avec Emmanuel Beaubatie

Propos recueillis par Lucile Dumont

Dans "Transfuges de sexe. Passer les frontières du genre", le sociologue Emmanuel Beaubatie retrace la diversité et la complexité des trajectoires de changement de sexe. Les obstacles qui caractérisent ces parcours biographiques et les stratégies mises en place par les individus pour les contourner mettent en lumière la dimension matérielle des questions de genre. Et permettent d’envisager la transition comme une expérience de mobilité sociale.

Complainte épidémiologique

Si vous ouvrez des intestins, faites-le sous l’eau

Texte de Elisa Díaz Castelo, Traduit par Lise Belperron

La poétesse et traductrice mexicaine Elisa Díaz Castelo use d’une technique de cut-up en ligne pour mixer le « Manuel de manipulation des corps atteints de Covid-19 au Mexique » avec l’Oreste d’Euripide, le De rerum natura de Lucrèce et l’Électre de Sophocle. Froide collision de la tragédie grecque et de la langue du protocole médical ou création in vitro d’un chœur endeuillé ?

Art sexe musique et traduction

Fanny et Fanni : correspondances

Par Fanny Quément

Cosey Fanni Tutti est une figure des scènes musicales industrielles et expérimentales des années 1970 et 1980. Il y a trois ans, Fanny Quément, traductrice, est partie en quête d’une maison d’édition pour une version française de son autobiographie. Au fil de digressions qui n’en sont pas, de résonances et de jeux de miroirs, le récit des tribulations de cette publication croise les identités multiples de l’artiste anglaise – performeuse, stripteaseuse ou amoureuse – qui se plaît à affirmer : « Ma vie est mon art. Mon art est ma vie. »

Schlag

Face au manque de définition chacun•e invente la sienne

Par Tintin et Rambouille

Si le mot schlag a fait son apparition dans le vocabulaire il y a quelques années, au point d’être intensément utilisé dans certains coins du pays, nul·le n’en connaît la définition exacte. Assoiffés de connaissances et de vérité, nos envoyés spéciaux Tintin et Rambouille partent à la recherche de la signification. À la schlag. C’est-à-dire avec méthode et professionnalisme.

L’ange et le feu

Quelques remarques sur la hiérarchie

Par Ghislain Casas

Qui a cru que le fonctionnement hiérarchique épargnerait les groupes d’ami·es qui font de la philosophie, de la politique ou encore des journaux ensemble ?! Cette amère constatation mène un philosophe concerné à analyser parallèlement deux pistes – comme deux ornières. L’une, étymologique, mène tout droit du royaume des Cieux à la structuration pyramidale de l’ordre étatique. L’autre, plus terrestre, suggère pourtant que les rapports de pouvoir trouvent leur ferment dans l’amitié même qui pensait les mettre si facilement sous le tapis. Serait-ce parce que nous ne sommes pas des anges ?

Femmes photographes

Portrait d’un collectif au travail

Propos recueillis par Julia Burtin Zortea, Joséphine Gross

Une publication indépendante entièrement consacrée à la pratique des photographes femmes, qui refuse néanmoins de servir de caution féministe aux institutions culturelles. Une équipe éditoriale qui s’organise en non-mixité de genre, qui s’interroge sur les rapports de travail et qui allie engagement politique, bénévolat et réflexion sur la rémunération. Voilà qui avait de quoi nous allécher.

dossier : L’esprit vieille

La vieillesse est politique : investie de représentations, identifiée comme un marché juteux, prise en charge par des institutions, objet de discours présidentiels lénifiants pendant la crise sanitaire. D’où l’envie de s’en saisir comme d’une chance de métamorphose, un « bel âge pour la révolte » (J. Rennes), ou plus simplement comme une trêve, une saison hors de portée des oppressions domestiques, un « Printemps des veuves » comme aubaine. Construire le dossier pendant la pandémie, ça voulait dire se décaler un brin pour mieux y voir, assurer l’aller-retour de elleux à nous, de l’intime au politique, du féminisme à l’âgisme.

La vieille dame et l’espace, Ursula Le Guin, 1976

Ménopause et métamorphose

Dessins de Diane Étienne, Choix des textes par Panthère Première

Adaptation graphique de "La Vieille dame et l'espace", un essai de l'autrice de science-fiction Ursula Le Guin. Réalisée par l'illustratrice Diane Étienne, qui s'inspire ici des films expérimentaux de Barbara Hammer, Sandra Davis et Rose Lowder, cette série de paysages oniriques dessinés aux crayons de couleur est entièrement traversée par le halo rouge d'une soucoupe : les extraterrestres cherchent un être représentatif pour en apprendre plus sur le monde des humain-es. Contre toute attente, c'est une vieille femme qui montera dans le vaisseau. Mais avant, il aura fallu se défaire du regard patriarcal porté sur les femmes d'âge mûre et convenir de la puissance politique des corps altérés - par la ménopause notamment.

Un bel âge pour la révolte ?

Âgisme et mobilisations féministes avec Juliette Rennes

Propos recueillis par Laurène Le Cozanet, Marie Fabre

Les discriminations liées à l’âge ont beaucoup à voir avec celles liées au genre, à la classe et à la race. Pour autant, les rapports sociaux d’âge, en particulier quand ils mettent en jeu des formes de dépendance, présentent des spécificités qui invitent à réexaminer la notion d’égalité et donc des manières d’être et de faire ensemble. Le temps d’un long café en pleine pandémie, Juliette Rennes a déroulé pour nous une pensée politique féministe de la vieillesse, témoignant de la puissance subversive du vieil âge. Et nous donne ici les moyens d’une nouvelle jeunesse (critique).

Le Gang des Vieux en colère

Exploration du potentiel subversif de la vieillesse en Belgique

Par Émilie Rouchon

Qu’on les appelle « aîné·es », « vieilles et vieux », « pensionné·es » ou « retraité·es », ils et elles n’ont plus rien à perdre ; et quand cette génération rejoint les mouvements sociaux en Belgique, ça donne : Le Gang des Vieux en colère !

Géolocaliser mamie

Quand la technologie croit résoudre les dilemmes du care

Par Pearl Morey

Un GPS au poignet, les personnes âgées pourraient vaquer à leur guise dans les hôpitaux et les Ehpad. « La liberté en toute sécurité », voilà la promesse alléchante et démagogue de la technologie venue à la rescousse des professionnel·les du soin en plein boom de la « silver économie ». Brouilleuse de pistes, elle n’en met pas moins la puce à l’oreille : quel genre de lieux d’enfermement sont vraiment les Ehpad ?

Blouf, cut, nuage blanc

Que s’est-il passé avec les femmes des années 1950 ?

Par Marie Fabre, Illustration de Bénédicte Muller

Fée du logis mais à quel prix ? Dans ces pages empruntées au roman inédit ZHM, la chimie opère, la maisonnée brille, mais la mémoire de la grand-mère se perd. De quoi les lourds rideaux de l’oubli sont-ils cousus ?

Le printemps des veuves

Scènes de la vie post-conjugale

Par Julia Burtin Zortea, Dessins de Amélie Laval

Printemps : saison située entre l’hiver et l’été, caractérisée par des jours plus longs, une température plus douce, une végétation renaissante. Synonyme : renouveau. Printemps des veuves : saison non systématique située entre l’hiver (la vie conjugale) et l’hiver (la mort), caractérisée par la possibilité de signer un chèque, d’aller voir la mer ou de rire entre amies. Synonymes : émancipation brève, intense, ambiguë.

Vieillir au paradis

Terre lesbienne cherche repreneuses (et un déambulateur)

Par Claire Richard, Dessins de Mel Utzmann-North

Dans les États-Unis des années 1960 et 1970, des lesbiennes quittent les grandes villes pour fonder des centaines de communautés rurales. Depuis la fin des années 1980, nombre d’habitantes ont quitté ces lieux, mais certaines sont restées et font face à un nouveau défi : comment préserver leur autonomie face à la dépendance, inhérente à la vieillesse ? Comment assurer le renouveau de ces espaces et les transmettre ?

Corps triomphant, corps altéré : se souvenir

Une pratique féministe de la poésie au prisme du vieillissement

Par Françoise Clédat

« La vie fait texte à partir de mon corps. » Citant Hélène Cixous, Françoise Clédat retrace l’expérience intense d’une vie, d’un corps, arrimée au trajet de la femme-poète.

Et les nerfs de nos chairs comme des cartes marines

Les yeux de Sarah Maldoror

Texte et images de Maya Mihindou, Numéro 7, automne 2021

Cinéaste des guerres d’indépendance de l’Afrique lusophone, Sarah Maldoror a montré des terres, des vies et des luttes jusque-là sans images. Sa propre existence nous arrive pleine de trous. De quelles réalités et dans quelles urgences est née cette Afropéenne, amie des poètes et penseurs de la négritude ? Pour faire son portrait Maya Mihindou relie son œuvre à la part manquante de sa vie. En quête de ce qui l’agite, elle plonge derrière son regard, dans le bouillonnement de celles et ceux qui refusent l’ordre blanc.

Vide

Un poème de Forough Farrokhzâd

Traduit par Laura Tirandaz, Mise en page de Pauline Nuñez

Écoutez gronder nos colères

Quand la mémoire d’une lutte se transmet en chanson

Par Tiphaine Guéret

Qu’est-ce qui relie la grève des sardinières de Douarnenez en 1924 aux manifestations féministes actuelles ? Outre une mélodie chantée, le besoin de se mettre au diapason face à l’exploitation durable et polymorphe des travailleur·euses.

~inclusifves

Boîte à outils pour des graphies non binaires

Par Loraine Furter

Où la graphiste Loraine Furter, membre de la collective Bye Bye Binary, nous invite à penser et travailler – à plusieurs – des typos d’un nouveau genre.

20 %

Les pères et l’éducation sentimentale des enfants

Par Kevin Diter

Les chiffres, notamment à travers la statistique, saturent les médias, les analyses, la publicité. Obscurs, abstraits, réducteurs ou mensongers, ils construisent un monde en trompe-l’œil et font écran à des réalités bien concrètes. Dissection du numéro gagnant.

Horoscope cap-verdien

Un poème de Shauna Barbosa

Traduit par Mathilde Ollivier, Mise en page de Rozenn Voyer