Type : entretien
Thèmes : féminisme, genre, institution, luttes, université, violences
Illustration : Mathilde Busch, monotype
Il y a près d’un an, nous publiions sur notre site un bel article de la journaliste Jennifer Simoes sur la lutte contre les violences de genre dans l’enseignement supérieur*. Peu après, à l’occasion de l’anniversaire du Collectif anti-sexiste de lutte contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur (CLASCHES), Jennifer rencontrait trois militantes pour un entretien en forme de bilan d’étape. Le CLASCHES a (plus de) vingt ans, longue vie au CLASCHES !
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Nous sommes en 2002 lorsque le Collectif anti-sexiste de lutte contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur (CLASCHES) prend forme au sein de l’atelier « genre » de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), où des étudiantes se réunissent tous les mois pour lire des textes sur le sujet. Elles apprennent l’existence d’une plainte pour harcèlement sexuel déposée par une doctorante de l’école à l’encontre de son directeur de thèse. Face à l’inertie des instances académiques, elles lancent une pétition dénonçant le harcèlement sexuel et l’absence de régulation des rapports de pouvoir dans l’enseignement supérieur, qui sera reprise dans la presse. Le CLASCHES devient une association loi 1901 en février 2003. S’ensuivent vingt années de luttes médiatiques, politiques et désormais juridiques. Une longévité qui étonne les militantes elles-mêmes, qui l’attribuent à la possibilité de s’appuyer sur un féminisme institutionnel tout en développant des actions mouvementistes plus contestataires.
L’une des premières actions du CLASCHES a été de diffuser en 2002 une « Pétition contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur ». Le collectif y dénonçait la méconnaissance et l’insuffisance de la législation qui, depuis la loi de 1992, réprimait le harcèlement sexuel dans les relations de travail. Tout en incitant à la diffusion d’informations au sein de ces institutions, il en appelait à la mise en place de voies de recours disciplinaires spécifiques. Comment votre pétition et vos premières actions ont-elles été reçues ?
Laure : À l’époque, nous étions un peu kamikazes et persuadées d’avoir raison. Nous avions obtenu 1 200 signatures pour notre première pétition et avons rapidement été mises sous le feu des projecteurs médiatiques. Dès cet instant, nous nous sommes heurtées à une résistance de deux ordres.
Il y avait, d’une part, un silence gêné chez de nombreux·ses enseignant·es-chercheur·ses qui ne voulaient pas se mêler de la question du harcèlement, qu’ils considéraient comme étant trop sensible. Ils voyaient dans notre volonté de réguler les relations entre doctorantes et encadrants une intrusion intolérable dans l’exercice du métier intellectuel et la liberté académique. D’autre part, nous avons dû affronter des réactions bien plus hostiles de la part des alliés d’Hervé Le Bras (visé par la plainte précitée, il a bénéficié d’un non-lieu en 2004), de Marcela lacub et des intellectuels médiatiques qui se prononçaient régulièrement contre les revendications féministes, surtout lorsqu’elles visaient à réguler les rapports de pouvoir dans la sexualité.
Le chiffon rouge du politiquement correct1 venu des campus américains était alors agité. Je me souviens de Finkielkraut2, qui nous avait traitées de « Staliniennes du sexe ». Il y avait une résistance générale dans la société française par rapport à la dénonciation du harcèlement sexuel, plus particulièrement accentuée à l’université qui se considère comme un bastion progressiste, acquis à l’égalité femmes-hommes. Dès lors, pourquoi introduire ces soupçons et des règles dans nos pratiques ? Mais nous avons aussi été soutenues par certains universitaires comme Éric Fassin, Jacqueline Heinen et Rose-Marie Lagrave qui encadraient les thèses de plusieurs d’entre nous.
Lorsque le CLASCHES s’est constitué, les militantes et fondatrices considéraient que les dispositifs de prévention et de sanction interne aux établissements d’ESR ne permettaient pas aux victimes d’obtenir cessation des violences et réparation. Quel bilan vingt ans plus tard ?
Marion : Sur la question de la prévention et de la nécessité de parler des violences sexistes et sexuelles, je pense qu’on a beaucoup progressé. Mais il reste encore des débats et des freins sur l’exercice de la sanction : qu’est-ce qu’une sanction légitime ? Est-ce qu’une sanction disciplinaire est légitime alors que le cas n’a pas été instruit par le parquet ? On nous dit encore que si la victime ne porte pas plainte, l’établissement ne peut rien faire. C’est faux, les procédures disciplinaires sont indépendantes des procédures judiciaires. Il faut le rappeler ! De plus, déclencher des procédures disciplinaires prend toujours un certain temps ; or pendant ce temps nécessaire à l’instruction, il faut permettre à la présumée victime de continuer à étudier ou à travailler sereinement. La mise en place de mesures conservatoires [organisation des cours à distance, protection fonctionnelle] est parfois nécessaire, ce qui reste encore difficile à faire entendre aux présidences d’établissements.
Joséphine : On récupère encore des couacs des services juridiques des établissements, insuffisamment formés sur ces questions, lorsque les victimes s’adressent à nous. Il y a quelques semaines encore, une section disciplinaire devant laquelle témoignait une étudiante lui a demandé si elle avait bien conscience qu’elle allait ruiner la carrière de la personne qu’elle accusait. C’est encore assez fréquent. Pourtant cette victime-là va peut-être bifurquer, interrompre sa carrière… Mais personne ne le perçoit.
Laure : Je crois que cela vient de cette idée qu’il faut séparer l’homme de l’artiste. C’est vraiment là quand on s’attaque à un grand nom, à quelqu’un qui est respecté intellectuellement, qui fait progresser la science. En fac de médecine, on va nous rétorquer que tel ou tel mis en cause reçoit des dizaines de patients par exemple. En conséquence, les auteurs de violences qui sont plus facilement mis en cause ou sanctionnés sont les personnes ayant le moins de soutien institutionnel, le moins de pouvoir.
Est-ce qu’il y a des espaces dans lesquels le harcèlement est plus présent ?
Laure : Là où s’exercent des rapports de pouvoir très asymétriques, où l’on observe une concentration de femmes dans des positions subalternes, subordonnées et dépendantes de chefs qui sont plus souvent des hommes, s’accroît le risque de harcèlement sexuel.
Joséphine : Il y a aussi des espaces où des personnes conjuguent de multiples positions d’autorité, comme dans les filières artistiques et médicales : de petits milieux dans lesquels l’autorité professorale se conjugue à l’autorité artistique ou scientifique. Dans ces cas, les victimes de violences nous disaient qu’après l’université elles ne pourraient s’insérer professionnellement parce que leurs enseignants étaient des artistes ou médecins reconnus. Cela empêchait quasiment leur parole d’exister. D’autant plus que ce processus s’appuie sur des formes d’invisibilisation : dans les écoles d’art, on a soi-disant un rapport différent au corps, à la nudité, à l’intime… Dire que certaines prestations culturelles, certains comportements relèvent de la violence est difficile à appréhender pour des étudiantes parce qu’il faut expliquer le sous-texte, déconstruire.
Marion : Les professeurs des universités - praticiens hospitaliers (PU-PH) ou maîtres de conférences des universités - praticiens hospitaliers (MCU-PH) ne sont pas soumis aux mêmes procédures que les autres enseignants-chercheurs. Au sein d’universités pluridisciplinaires coexiste une multiplicité de procédures qui contribuent à rendre l’ensemble peu lisible et qui participent à l’impunité de certains, en offrant aux agresseurs un espace de « jeu » assez libre.
Les situations de violences pour lesquelles vous êtes contactées concernent encore fréquemment les relations entre doctorantes et directeurs de thèse. L’encadrement de thèse reste-t-il une relation particulièrement marquée par des rapports de pouvoir ?
Laure : Le fait que le CLASCHES émane d’un groupe de doctorantes crée un effet de proximité. Une de nos préoccupations, quand on a lancé la pétition en 2002, était que le droit du travail ne protégeait pas les doctorantes, contrairement aux salariées. La relation de subordination et de dépendance, parfois très forte, entre la doctorante et son directeur de thèse, créait une zone où le droit était difficilement appliqué car, dès le doctorat, et c’est vrai de la recherche plus largement, la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle devient parfois très fine. Par exemple, lorsqu’on participe à un colloque à l’étranger avec son directeur de thèse et ses collègues, il y a des moments de détente, de festivités, de relâchement des normes et des conduites professionnelles. Ces moments où les relations se relâchent peuvent accroître les risques de dérapage. Au cours de ces années, on peut aussi nouer des rapports affectifs avec son directeur ou sa directrice de thèse, ce qui fait que les limites se brouillent et sont donc plus faciles à outrepasser pour l’auteur de violences.
Joséphine : C’est particulièrement le cas pour les étudiantes étrangères. Elles sont surreprésentées parmi les victimes qui nous contactent.
« À l’époque, nous devions nous battre contre cette idée que la relation de séduction était au cœur du travail intellectuel et de la relation de mentorat, et que réguler cette sexualisation revenait à porter atteinte au travail intellectuel et à la relation doctorale. »
Sur la relation entre doctorante et directeur de thèse, on discute dans certaines universités de l’opportunité de mettre en place des chartes conditionnant l’encadrement de thèse à l’absence de relations amoureuses et/ou sexuelles. Pourquoi est-ce si difficile de les généraliser ?
Laure : Au tout début, c’était vraiment le sujet le plus sensible, y compris parmi nos soutiens qui craignaient qu’on réglemente les relations affectives dans l’ESR. Comme dit plus haut, tout un courant de gauche d’inspiration foucaldienne, dont se réclamait Marcela Iacub, refusait de reconnaître que la sexualité était aussi un espace d’exercice du pouvoir. Nous avions donc fait le choix de ne pas porter cette revendication frontalement, mais d’introduire des règles permettant de construire des garde-fous : laisser la porte ouverte lors de réunions bilatérales entre l’étudiante et son directeur de thèse, éviter les réunions professionnelles au domicile de l’encadrant... À l’époque, nous devions nous battre contre cette idée que la relation de séduction était au cœur du travail intellectuel et de la relation de mentorat, et que réguler cette sexualisation revenait à porter atteinte au travail intellectuel et à la relation doctorale.
Joséphine : Lorsqu’on pose ce sujet sur la table, en général on nous traite de « féminazies » voulant réguler les comportements individuels. Mais lorsqu’une personne non militante amène le sujet, par exemple lors de journées de sensibilisation, alors les gens commencent à en discuter. On nous oppose aussi parfois l’inutilité de cette mesure, puisqu’elle ne serait pas contraignante. Sauf que lorsqu’on écrit les choses, on ne peut plus parler de zone grise. Les choses évoluent un peu, mais l’emprise reste énorme en classe préparatoire où une étudiante nous racontait, par exemple, que sa relation avec un enseignant n’avait posé de problème à personne lorsqu’elle a été mise à jour. Au contraire, tout le monde le percevait comme quelque chose de très romanesque, faisant écho à tel ou tel personnage de roman.
Finalement, vingt ans après, persiste une incapacité à penser que des relations qui se vivent sur le mode de l’affection, du désir, peuvent être l’expression d’un rapport de domination.
Joséphine : Une décision récente dans la jurisprudence va nous aider un peu3, mais jusque-là on a des comptes-rendus de conseils disciplinaires dans lesquels il est écrit « il y a eu un baiser échangé entre le directeur de thèse et son étudiante » suivi de tout un débat pour savoir si elle n’était pas quand même un peu consentante. On devrait dire, puisqu’il est en situation d’encadrement : est-ce ce qu’on attend de la part de personnes qui encadrent des mémoires ou des thèses ? C’est juste une question de déontologie professionnelle.
Laure : À l’époque où l’on a lancé la pétition, certains directeurs de thèse étaient sur la défensive, nous demandant s’ils étaient coupables du fait que telle ou telle étudiante exprime un désir à leur égard. Il fallait expliquer qu’effectivement une relation de séduction peut s’exercer dans ce contexte, qu’une grande admiration peut être exprimée à l’égard de son directeur de thèse, et parfois du désir, et que l’existence de ces sentiments n’est pas un problème en tant que tel. En revanche, nous voulions leur faire prendre conscience qu’il était de leur responsabilité de limiter ces relations et de ne pas abuser de leur pouvoir, que ce n’était pas à l’étudiante de poser des limites.
L’encadrement collectif de la thèse fait partie des évolutions positives. Il est parfois entravé par l’éloignement géographique ou des difficultés de communication, mais permet aux doctorantes de ne pas être isolées. La situation a un peu évolué…
Laure : C’est un énorme progrès et c’est exactement ce qu’on demandait à l’époque, de casser cette relation strictement bilatérale entre l’encadrement et les doctorant·es.
Joséphine : Les comités de suivi de thèse sont importants également, la doctorante peut être reçue sans son directeur ou sa directrice pour pouvoir dire ce qui se passe bien ou mal. Il y a certains établissements qui font bien les choses, à la fois dans la composition du comité de suivi, dans la manière dont les questions sont posées. D’un autre côté, il y a des établissements où ce sont les amis du directeur qui siègent et où, quand la doctorante essaie quand même d’expliquer qu’il y a des situations problématiques, les notes prises en comité de suivi sont transmises directement au directeur ! Donc la structure existe, mais les établissements n’ont pas fait la formation nécessaire pour dire : attention, vous allez voir une personne qui potentiellement peut avoir vécu des violences et il faut que vous soyez en mesure de recevoir ce qu’elle va vous dire.
« Les personnes qui nous envoient leur témoignage demandent plus systématiquement à être recontactées – ce qui n’était pas le cas il y a cinq ans. Elles savent qu’il est possible de faire quelque chose au sein de leur établissement. »
Comment les actions du CLASCHES ont-elles évolué parallèlement à la médiatisation accrue des violences de genre et à la mise en place des cellules Égalité ?
Marion : Entre 2006 et 2013, nos actions étaient principalement des actions de plaidoyer. Nous avons beaucoup travaillé à faire évoluer à la fois la réglementation dans les établissements mais aussi la législation, en participant notamment à l’écriture de la loi sur le harcèlement sexuel en 2012. Nous entretenions des relations étroites et régulières avec les ministères de l’Enseignement supérieur et des Droits des femmes. Entre 2013 et 2016, nous étions sollicitées en permanence par les établissements et syndicats aux quatre coins de la France pour mettre en place des ateliers de formation et de prévention. Nous étions les seules à pouvoir le faire, mais cela a soulevé pas mal de questions sur notre rôle. Nous sommes un collectif militant, pas un institut de formation. Puis #NousToutes4 a été créé, des cabinets de formation comme Egaé également, qui ont proposé leurs propres ateliers, ça nous a un peu soulagées.
Joséphine : Oui, on a décidé de réduire la voilure, d’arrêter les formations généralistes et de se recentrer sur des formations plus « ciblées » pour les cellules de veille rendues obligatoires en 2019 dans les établissements, les membres des sections disciplinaires ou les collectifs de lutte contre les VSS [Violences sexuelles et sexistes], en bref, toutes les personnes qui auront à prendre en charge des victimes, à traiter leur signalement ou à juger des faits de VSS. L’autre nouveauté, c’est que les personnes qui nous envoient leur témoignage demandent plus systématiquement à être recontactées – ce qui n’était pas le cas il y a cinq ans. Elles savent qu’il est possible de faire quelque chose au sein de leur établissement. Les questions sont aussi plus informées, plus précises. Le temps de suivi s’est allongé et cela demande une plus grande technicité, juridique surtout. Les personnes qui nous contactaient avant étaient de l’université en tant que telle, maintenant ça irradie dans les différents établissements de l’enseignement supérieur, que ce soit les grandes écoles, les écoles d’art… Il y a quelques espaces dans lesquels on n’arrive pas encore à aller : écoles d’ingénieurs, écoles de commerce… Mais nous sommes allées dans les IEP [Instituts d’études politiques] et, dernièrement, dans les conservatoires de musique. Depuis #MeToo puis #Balancetonporc, nous sommes contactées une à deux fois par semaine pour des témoignages de victimes.
C’est un front de lutte qui peut être épuisant, est-ce que les militantes restent longtemps ?
Joséphine : Nous ne sommes pas assez nombreuses, on a parfois du mal à tout gérer. Je suis au CLASCHES depuis sept ans environ et je fais déjà figure de dinosaure. Ce qui est compliqué, c’est que c’est un militantisme ingrat, car il est devenu très juridique. Dans les accompagnements qu’on doit faire, il faut avoir une grande maîtrise du droit, se plonger dans le Code de l’éducation et dans la jurisprudence des tribunaux administratifs, ainsi que du Conseil d’État. C’est extrêmement prenant et compliqué, il y a un coût d’entrée qui est énorme. Les suivis de victimes, les courriers que nous recevons peuvent aussi nous plomber. Il faut également dire que nous n’apparaissons jamais sous notre identité, les gens connaissent notre prénom, mais pas notre nom de famille. Peu de gens dans notre entourage professionnel savent qu’on milite au CLASCHES. Donc par rapport à d’autres formes de militantisme dont on retire une forme de gratification sociale, on reste dans l’ombre.
Mais c’est aussi une sécurité, j’imagine.
Marion : Je me souviens au début j’étais très naïve, persuadée que c’était hyper légitime de bosser sur ces sujets… Et j’avais tellement l’impression d’acquérir des compétences et d’œuvrer pour la communauté académique (rires), que ça me semblait logique de le mettre dans mon CV parmi les responsabilités collectives. À un moment, on m’a dit : « T’es folle, ne mets pas ça ! Tu ne te rends pas compte de comment c’est perçu ? » Je ne pensais pas que cela pouvait poser problème.
Joséphine : C’est intéressant parce qu’il y a un véritable enjeu d’égalité sur cette question : se dire féministe et membre du CLASCHES pour un homme titulaire apparaîtra comme une chose très positive alors qu’une femme précaire sera juste la féministe de service. C’est pour cela qu’on n’apparaît pas sous nos propres identités et qu’on n’intervient pas dans nos établissements respectifs. C’est devenu de plus en plus important de ne pas être reconnaissable : on en est à notre troisième plainte pour diffamation ou injure publique. On a gagné récemment, mais on en a deux autres sur le feu et on ne sait pas ce que ça va donner5. Ironiquement, c’est là qu’on devient visibles, lorsqu’on est traînées au tribunal correctionnel !
« Nous sommes devenues un acteur crédible, qu’on ne peut plus disqualifier politiquement. »
Mais est-ce que ça ne signifie pas que vous avancez finalement, que vous vous attaquez à des choses cruciales désormais ?
Joséphine : C’est ce que nous disent nos avocats. La défense des accusés repose en général sur deux argumentaires : soit ils disent que les victimes étaient amoureuses d’eux, qu’ils n’ont pas pu les satisfaire et qu’elles se vengent en détruisant leur carrière, soit ils parlent de cabale féministe orchestrée par le CLASCHES. Récemment, dans le dernier procès où nous apparaissions en tant que témoin, l’accusé portait plainte contre Mediapart pour diffamation. Son avocate disait que c’était le CLASCHES qui tirait les ficelles dans l’article de Mediapart. Cela montre qu’on fait peur et qu’on fait bouger les choses. Nous sommes devenues un acteur crédible, qu’on ne peut plus disqualifier politiquement.
Il y a un véritable acharnement contre nous. Nos avocats nous disent que nous sommes particulièrement visées par des procédures (essentiellement des plaintes pour diffamation) qui auraient dû se terminer depuis longtemps, ou être classées mais qui s’éternisent. On a traversé plusieurs périodes de burn-out et on fait un travail d’accompagnement avec une psychologue désormais. C’est difficile. On essaie de se tenir aux choses positives lors de nos réunions. On se félicite mutuellement des petites et grandes victoires.
Vous avez choisi la mixité. Est-ce que ça a suscité beaucoup de débats entre vous ?
Laure : Pas vraiment. Des hommes participent au CLASCHES depuis le début. Nombre d’entre eux étaient en fait les conjoints des féministes, c’est ainsi que le recrutement se faisait, par affinité. Il y avait aussi Léo Thiers-Vidal, qui s’est engagé dès les débuts du CLASCHES et qui nous a beaucoup soutenues. Son suicide en 2007 nous a beaucoup attristées.
Marion : Alban Jacquemart explique dans sa thèse pourquoi il est compliqué de recruter des hommes dans un collectif qui apparaît comme très féminin. Il y avait donc des hommes, mais nous étions majoritairement entre femmes et, surtout, il y avait un accord sur le fait que les femmes étaient celles qui définissaient les priorités de la lutte et qui représentaient prioritairement le collectif dans l’espace public.
Est-ce que la mixité a suscité des problèmes de répartition des tâches ou de la parole ?
Laure : Nous ne les aurions pas laissés faire (rires). Non, vraiment, nous n’avons jamais eu de problèmes avec les hommes dans notre collectif.
Joséphine : Chacun explique sa position et on sent qu’il y a une réflexion en amont. Par exemple, ils ne s’impliquent pas seuls dans le suivi de victimes, et certains ne s’y impliquent pas du tout parce qu’ils estiment que ça n’est pas leur place. La seule chose que nous avons décidée est que ce ne sont jamais deux hommes qui forment le duo lors des formations que nous donnons. De la même manière, la parole du CLASCHES ne doit jamais être portée par un homme seul.
Laure : Je pense qu’il y a un consensus assez évident sur le fait que les femmes étant le sujet politique de cette mobilisation, c’est à elles de l’organiser et de la diriger. Les hommes sont les bienvenus tant qu’ils adhèrent à nos principes et qu’ils savent trouver une place qui est la leur.
* Retrouvez ici le précédent article de Jennifer Simoes sur la lutte contre les violences de genre dans l’enseignement supérieur.