S’il est communément admis que donner naissance à un enfant est synonyme de bonheur, c’est sans compter les nombreuses difficultés éprouvées par les mères suite à un accouchement. Minimisées, niées, stigmatisées ou pathologisées, ces difficultés découlent le plus souvent de causes structurelles, qui transparaissent dans les messages de détresse postés sur les forums d’entraide dédiés : des lieux pionniers de la libération de la parole, et de sa politisation.
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Maman depuis 5 mois et galère !
10 oct. 2012
10h30
gaïa
Je me décide à m’inscrire sur Maman Blues. Et à venir vous parler. Je suis maman depuis 5 mois et j’ai l’impression de vivre un cauchemar. […] Isaure est un bébé qui ne dort que très peu, très demandeur de bras, qui ne supporte pas être posée. Moi, sa maman, je suis au bout du rouleau. Je suis à fleur de peau, je pleure très souvent, je suis irritable et angoissée.
Je ne supporte plus rien de mon bébé. La plupart des moments passés avec elle sont pénibles. Je m’occupe d’elle par obligation. Pas par plaisir. D’ailleurs, il y a des moments où je n’arrive même pas à m’occuper d’elle. Je la pose dans son lit et je m’enferme aux toilettes. Pour faire le vide. Et pleurer.
La semaine, je suis seule avec mon bébé. Son papa travaille. Moi, je ne sors que très peu de chez moi. De toute façon, je n’en ai pas envie et j’ai peur. J’ai peur de la vie extérieure, du regard des autres. Dès que je sors, je n’ai qu’une envie : faire demi-tour et rentrer chez moi.
Je ne parle de mes difficultés à aucun proche. Ils voient bien que ce n’est pas facile avec Isaure mais quand ils me posent des questions, je détourne. Par peur du jugement, d’être mise à nue.
Avec mon compagnon, on ne se comprend pas. Il ne me comprend pas. Il me dit qu’il faut que je me ressaisisse, que ce qu’il m’arrive n’est pas normal, qu’il faut que je consulte. Il a peur pour moi. Pour nous.
J’arrive à un stade d’épuisement complet, je suis à bout. J’ai le mal de mère. Je n’ai plus envie d’être maman. Ou du moins la maman d’Isaure. Ce bébé aux antipodes de ce que j’avais rêvé. J’avais imaginé une maternité sereine, où je m’épanouirais. Un bébé parfait.
Je me demandais comment des mères n’arrivaient pas à créer un lien fort avec leur bébé, à déprimer après un événement si heureux de leur vie. Maintenant, je sais. J’arrive à comprendre (mais pas approuver !) les mères qui secouent leur bébé. Je me dis que si je n’avais pas la tête sur les épaules, Isaure auraient pu se retrouver secouée ou posée dans la poubelle. J’arrive à comprendre ces mères-là. C’est odieux.
J’ai décidé que lundi, j’irai voir mon docteur. Si j’y arrive. Si j’ai assez de forces. Car j’ai voulu à plusieurs reprises consulter mais j’ai reculé le jour J.
Réponse sur le forum
Je t’encourage de tout mon cœur à consulter rapidement. Le mal de mère s’en va rarement tout seul, on a besoin d’être accompagnée pour le surmonter, pour le traverser avec le moins de dommages possibles. C’est une très bonne initiative d’aller voir ton médecin car il pourra peut-être te donner quelques coordonnées de psychologues. S’il ne te donne pas satisfaction, n’hésite surtout pas à revenir nous voir et alors nous essaierons de t’aider […].
Poster les tabous
Comme « gaïa », elles1 sont des centaines à poster leurs difficultés maternelles sur les forums de discussion de sites médicaux ou « féminins », dans l’espoir de trouver des internautes prêt·es à les soutenir, à partager leurs vécus, leurs stratégies et ressources pour s’en sortir. Et, aussi, tout simplement, pour se délester de mots trop contenus, trop lourds à porter, dans une société qui s’accroche férocement au mythe de la maternité épanouie. En effet, faire part de ses doutes, raconter ses crises de larmes et d’angoisse quotidiennes ou encore ses pensées suicidaires, avouer qu’on ne supporte plus les pleurs de son bébé, le rythme, cette vie, c’est s’exposer à la réprobation, au jugement ou simplement à ne pas être écoutée. De même, s’il est admis de se plaindre de nuits difficiles, il l’est beaucoup moins de mentionner les points de suture à la vulve qui virent à l’œdème, les saignements abondants, la difficulté à s’asseoir, à marcher, les mamelons meurtris et les fuites urinaires – qui sont pourtant des maux très fréquents dans les suites de couches. Aux côtés de l’image d’Épinal de la mère dévouée et comblée, qui a retrouvé son corps d’avant, qui a les traits reposés, les cheveux bien coiffés et un nourrisson souriant, il ne peut guère exister que l’exception pathologique et honteuse de la mère indigne.
Aussi, même en fin de grossesse, peu de femmes ont une vision réaliste de ce que peut signifier le post-partum. Au contraire même, les « repose-toi bien ! » et autres « tu vas pouvoir faire plein de trucs chouettes pendant ton congé mat’ » scellent ce tabou et sont susceptibles de faire très mal (culpabilité, sentiment d’anormalité…), tant l’écart avec les réalités vécues à ce moment-là peut être grand. « Je me dis que tant pis, je suis condamnée à être malheureuse et à regretter ma vie d’avant, mais que maintenant je n’y changerai plus rien… » poste « Melaa2579 » qui, dès sa sortie de la maternité, a été prise en charge dans une unité de psychiatrie périnatale « mère-enfant »2. « Pourtant on doit être heureuse quand on devient maman ! Eh bien moi je serai l’exception et puis voilà. » En réalité, on estime que 80 % des nouvelles mères sont atteintes de baby blues, 15 à 20 % de dépression post-partum, 1 à 6 % d’un syndrome de stress post-traumatique, et 1 ‰ de psychose puerpérale, une forme très grave. Certaines passent plusieurs mois hospitalisées et/ou suivent des traitements au long cours. Mais, alors que le suicide est la première cause de mortalité des femmes dans l’année qui suit la naissance d’un·e enfant (risque 70 fois plus élevé qu’à tout autre moment de la vie d’une femme)3, nombreuses sont celles qui ne sont pas diagnostiquées dépressives à cause du tabou qui entoure cette maladie mais aussi parce que, de manière générale, les maux des mères sont méprisés. Les médecins considèrent facilement la fatigue chronique, l’anxiété, l’irritabilité, ou encore les douleurs lombaires ou articulaires comme une sorte de passage obligé, de lot commun qui se résorberait avec le temps, se contentant souvent d’un « prenez du temps pour vous » illusoire étant donné qu’elles assument la grande majorité des tâches domestiques et parentales4.
Maux maternels, causes patriarcales
Au niveau des causes, le mal-être maternel est trop souvent mis sur le compte de la chute hormonale qui suit un accouchement ou de fragilités psychologiques antérieures. Des raisons individuelles et malencontreuses qui permettent de faire l’impasse sur l’essentiel – les causes structurelles, patriarcales. Par exemple, parmi les accouchements mal vécus, « difficiles », nombreux sont ceux qui se sont déroulés dans des conditions maltraitantes et déshumanisantes : manque de soutien et de bienveillance du personnel soignant, remarques désobligeantes (« Qu’est-ce que vous êtes douillette ! », « Elle est vraiment hystérique celle-là. », « Encore une arriérée qui ne veut pas la péridurale, dans une heure vous allez nous supplier et ce sera trop tard ! »…) ; positions imposées, accommodantes pour les soignant·es mais qui empêchent la parturiente de bouger, de soulager certaines douleurs et de faire avancer son accouchement comme elle le sent ; gestes médicaux inutiles ou douloureux, réalisés sans le consentement, voire même sans prévenir ou contre la volonté explicite de la mère (déclenchement, péridurale mal dosée, touchers vaginaux à répétition, épisiotomie…). Si certaines interventions sont vitales et urgentes, elles doivent pourtant être expliquées et consenties5, pour que l’on ne se sente pas infantilisée, dépossédée de son corps et de sa volonté. Enfin, il arrive que l’équipe médicale commette des actes interdits, qui relèvent de la mutilation ou de la torture6 (expression abdominale ; curetage, incision ou césarienne à vif ; « point du mari »7…). Ces violences obstétricales, qui s’inscrivent dans une histoire sexiste du rapport de la médecine au corps des femmes, sont à l’origine d’une grande partie des syndromes de stress post-traumatique et des dépressions post-partum.
Autre cause majeure, les inégalités et violences de genre au sein du couple hétérosexuel, ainsi qu’une organisation sociale qui isole les mères – absence de congé digne de ce nom pour le deuxième parent, défaut de lieux de sociabilité accessibles avec des bébés, « disparition » des proches, assignation au travail gratuit, dévalorisé et sans limites d’horaires que sont les tâches domestiques et parentales…
« Une bulle d’oxygène précieuse »
Dans ce contexte, les forums de discussion sur Internet sont quasiment le seul lieu, à côté des unités « mère-enfant » et des cabinets de psy et de sages-femmes, où ces femmes peuvent se confier à toute heure du jour et de la nuit, sous pseudo, et trouver rapidement des personnes qui comprennent leurs souffrances. S’ils sont souvent déconsidérés, au motif qu’ils peuvent être pourvoyeurs de diagnostics alarmistes, d’injonctions et de jugements normatifs et violents (« t’as voulu un enfant, faut assumer/je plains ton mari »), ces forums peuvent aussi constituer de vrais espaces de soutien et d’entraide accessibles à des femmes de tous milieux ; des lieux où des tabous peuvent être brisés, des voies émancipatrices esquissées, une condition commune conscientisée.
Messages d’encouragement émaillés d’un ou deux émoticônes cœur et de : « Tu vas t’en sortir ! », missives plus longues, plus analytiques, sur le lent processus de reconstruction, l’apprentissage de la maternité ou les injonctions sociales à être une wonderwoman, récits qui se font écho… sur les forums, chacune apporte son style, ses idées, son vécu. Les premières réponses, surtout, sont très importantes dans le sens où elles font voler en éclats la solitude, la culpabilité et le sentiment d’anormalité – elles ouvrent les portes d’un lieu-ressource. « Sache qu’ici tu trouveras du soutien, de la compréhension, une bulle d’oxygène précieuse, elle l’a été pour moi et pour d’autres mamans », répond par exemple « mummy25 »8, quelques minutes après le premier post de « Melaa2579 ». « Oh que oui, je comprends cette détresse qui nous dévore de l’intérieur, ce sentiment de culpabilité qui nous écrase et une maternité que l’on voudrait vivre épanouie comme les magazines et la société nous l’imposent », poursuit-elle, avant de raconter comment, dès la naissance de son bébé, elle aussi s’est sentie « littéralement terrifiée devant ce petit être sans défense et si dépendant ». Seule chez elle face à ses angoisses et à « une famille dans l’incompréhension et dans le jugement », elle confie avoir « échafaudé même un scénario pour [se] donner la mort sans vraiment y croire [puis avoir] couru chez [sa] psy en [s]’effondrant ». Son bébé a alors trois mois, elle demande à être hospitalisée dans une unité mère-enfant : « Mon combat commençait. »
Le forum du site <maman-blues.fr>, créé en 2004 et entièrement dédié à ces questions, fait à cet égard figure de modèle : les posts font l’objet de réponses rapides, pour ne laisser aucune mère en détresse dans le vide, et d’une modération rigoureuse par des bénévoles qui ont toutes vécu des difficultés maternelles et qui suppriment les commentaires insultants ou moralisateurs9. Une charte précise les différentes règles à suivre (interdiction d’usurper l’identité d’une personne, de tenir des propos xénophobes ou calomnieux, ou encore de diffuser les messages privés d’autres mères sans leur consentement…) et le site est géré par une association féministe éponyme qui organise des groupes de paroles locaux, lutte pour la reconnaissance et la prise en charge non-jugeante des difficultés maternelles, publie des bulletins d’information et des ouvrages, et mène des actions de sensibilisation auprès des professionnel·les de santé.
Résister à l’isolement, faire communauté
Papa s’occupe très peu de bébé
18 avril 2014
12h07
Isaye_3049581
J’ai lu vos messages et je me reconnais trop. […] Depuis que le petit est né, on se prend la tête tout le temps, il ne s’occupe jamais de son fils, s’il a changé trois couches en 9 mois c’est le maximum et cela après de nombreuses négociations… […] Vu que je ne retravaille pas en attendant la place en crèche, je n’ai aucune vie sociale. Mon mec ne s’intéresse qu’à ses potes, aux sorties, aux voitures, à l’alcool, et au pétard… Et moi je reste seule tout le temps : seule lorsqu’il est au travail, seule quand il joue à la console, seule quand il sort, seule quand il répare ses voitures… […] C’est un ado en puissance et moi je suis la bonniche qui gère l’intendance, les problèmes financiers, et tout le reste. […] Il m’a reproché de ne pas prendre soin de moi, et de lui, que je ne suis plus la femme sexy mais sa colocataire qui passe sa vie à le fliquer. Alors j’ai pris sur moi, je me suis dit que si je me reprenais en main ça allait changer… Mais j’ai beau jouer la femme fatale et sexy, lui faire des surprises sexuelles… QUE DAL !!!! […] Je n’en peux plus, je suis épuisée […], si je reste c’est pour mon fils avant tout parce que je sais qu’il a besoin de son père même si ça n’est que cinq minutes par jour dans ses bras, mais si ça ne tenait qu’à moi je pense que je serais déjà partie. Je ne sais pas quoi faire, j’espère que vos réponses vont pouvoir m’aider dans mes choix…10
Sur ces forums, on s’échange aussi des conseils, des stratégies, on cherche des pistes ensemble, notamment pour réduire la lourde part de travail parental et domestique que l’on assume seule et qui nous mine. En effet, au gré des fils de discussion, les ras-le-bol à ce sujet se ressemblent, inlassablement, dessinant au passage une fresque de la domination patriarcale dans les foyers. « C’est compliqué, on pense qu’ils n’en font pas assez et ils pensent qu’on leur en demande trop, note “Juju1408” J’opte pour le planning des tâches. Ça montrera objectivement qui fait quoi. »11 Certaines, comme « neya_3518190 », prônent la grève : « Alarmeeee, il est temps de tirer le holà. Mon mari faisait la même chose tu sais quoi ma belle. Je lui ai bien fait comprendre que s’il me laissait tout gérer, y avait bien des choses dont je ne m’occuperais plus, pour commencer, lui. Je ne faisais plus ni la lessive ni le repas, pendant une bonne semaine prétextant que mon petit bout ne m’avait pas lâché de la journée. La leçon a marché crois-moi. »12 D’autres agitent la menace de séparation, ou la mettent à exécution, comme « Eydomel » : « Je commence à mettre des sous de côté pour caution et loyer d’un nouveau logement. »13
« Petit à petit, les gens ont cessé de donner des nouvelles et après les avoir relancés une fois, deux fois, trois fois, on ne relance plus et on réalise que personne ne prend de nouvelles, regrette « Meliss4 », mère d’une petite de 15 mois. Quels sont vos trucs et astuces pour retrouver une vie sociale “normale” ? »14 Assumer l’essentiel ou la totalité du soin aux enfants et de l’entretien du foyer tout en prenant de plein fouet le mépris social lié à ces activités, ne pas avoir accès à des lieux et transports publics adaptés et accueillants, passer des mois sans discuter avec un·e adulte (hormis le ou la partenaire s’il y en a un·e)… si l’abandon des proches et le défaut de réseaux de solidarité amicaux, familiaux et institutionnels pointent parfois au détour d’une phrase, dans la grande majorité des posts, les femmes n’en parlent même pas tant il est évident, pour la société, que les enfants et les difficultés liées à la maternité, c’est leur problème. À cet égard, les forums permettent de recréer une communauté salutaire, une forme de sororité au sein de laquelle ces expériences de vie sont légitimées, où l’on peut se parler, se filer des coups de main, devenir amies.
Réduire les risques
« Ici vous vous trouvez en “territoire” anonyme, ce qui vous permet de plus amples confidences tout en restant protégé des conséquences de vos propos, peut-on lire sur la charte du forum Maman Blues, qui conseille à ses usagèr·es de conserver leur anonymat. Si, toutefois, vous décidiez de laisser vos coordonnées, sachez qu’un témoignage alarmant de votre part, semblant relever de l’urgence, nous inciterait à agir en conséquence. Nous serions tenus de contacter le plus rapidement possible des professionnels de la santé, de la protection de l’enfance ou encore un service d’urgence (Samu, pompiers, 115, 119…) pour vous venir en aide ainsi qu’à votre enfant. » Les risques de dépression grave et de suicide des mères de nourrissons étant très élevés, cette charte ajoute que le forum n’a pas vocation à se substituer à un suivi médical ou psychologique mais que les bénévoles peuvent orienter vers des professionnel·les compétent·es. Se tenant « à ce carrefour entre soutien et relais », les femmes qui répondent aux posts assument ainsi parfois une vraie fonction de veille et de prévention, prêtes à agir en cas de dégradation de l’état de l’une d’entre elles.
Extrait d’une journée, tirée du fil de discussion sur lequel une petite dizaine de femmes viennent, au fil des pages et des minutes, soutenir « Melaa2579 » – suivie par ailleurs en psychiatrie – pour l’empêcher de flancher complètement :
1er avril 2011 13h40 Nevergiveup
Je crois que faire le pont entre notre vie d’avant (notre « moi » d’avant, même), et celle d’aujourd’hui, est une clé de la reconstruction. Outre les thérapies, cela peut passer par des choses simples du quotidien : emmener le bébé dans les endroits qu’on aimait fréquenter, le présenter aux amis et les revoir régulièrement, reprendre si possible matériellement une occupation d’avant (comme le sport par exemple)…
13h54 Melaa2579
Mais pourquoi cette idée que j’ai fait une bêtise et je regrette ma vie d’avant… C’est horrible pour lui de penser que j’étais mieux sans lui.
13h59 Marinette
Tu peux écrire ce qui te passe par la tête. Aucune de nous ne se permettra de juger ce que tu peux dire ! On a toutes eu des pensées que l’on regrette par la suite ! […]
16h42 Melaa2579
J’ai parfois envie d’en finir tellement c’est dur mais mes proches seraient si tristes, je ne leur ferai pas ça.
17h39 Marinette
Cette idée d’en finir est passée dans la tête de la plupart d’entre nous ! Ce n’est pas une solution en soi. Patience et essaye de parler de tout ça avec ton conjoint pour évacuer tout ce trop-plein !
17h48 Melaa2579
J’en parle avec lui mais cela ne résout pas grand-chose si ce n’est qu’il m’assure de son soutien. J’ai envie de crier aidez-moi… Je vous en prie aidez-moi !!!
18h07 Marinette
Si tu te sens trop mal, essaye de joindre le 15. Ils pourront te réorienter si nécessaire !
20h40 Charlotte
Devenir maman prend du temps et bien sûr il est légitime de souhaiter se sentir bien au plus vite, tu n’es pas coupable de ce que tu traverses, et tu t’en sortiras comme toutes les mamans qui en témoignent ici, mais il faut te donner le temps, ne te désespère pas, accroche-toi, tu as un suivi thérapeutique et là encore il faut du temps pour que cela t’aide à te sentir mieux.
Dans le cas où vraiment tu te sens trop mal, n’hésite pas à contacter le médecin de garde ou les urgences, il ne faut pas rester seule, comme te l’a dit Marinette, courage, chaque jour te rapproche de la sortie du tunnel.
21h16 Laure
Bonsoir Melaa,Tu peux aussi appeler l’équipe des soignants de l’unité. Je peux te donner le numéro en MP si tu as besoin. Ils m’ont toujours dit que je pouvais les appeler si besoin. Alors n’hésite pas, ils te connaissent et pourront te conseiller.
Rendre public, politiser
Sur le fil de discussion lancé par Melaa2579, neuf ans après les derniers échanges… :
18h05 Kri
Coucou. Je reviens sur ce sujet pour avoir des nouvelles. Voilà, jeune maman depuis un mois, je ressens les mêmes symptômes que toi. Comment tu as fait pour t’en sortir car je ne vois pas le bout… aidez-moi.
En tant que lieux pionniers de la libération de la parole par Internet, mais aussi parce qu’ils permettent de trouver des soutiens et des solutions, de faire tomber la culpabilité de la « mauvaise mère » et l’isolement, et de prendre conscience d’une condition commune à la plupart des nouvelles mères, ces forums d’entraide ont une dimension émancipatrice. Il n’empêche, les difficultés de la maternité sont restées un impensé des luttes féministes en France jusqu’à ce que, dans les années 2010, des militantes les sortent de l’indifférence via des hashtags vite viraux, initiés de leurs expériences personnelles (#PayeTonUtérus, @taspensea15), et via des collectifs et associations16. Violences obstétricales, surmédicalisation de la naissance et manque d’accompagnement respectueux lors des accouchements, répartition des tâches parentales et domestiques, charge mentale, allongement du congé parental pour le coparent, PMA pour tou·tes… Ce vaste champ de luttes et de revendications est enfin en train d’être défriché.
Malgré tout, les lendemains d’accouchement se doivent de rester toujours aussi glamours, dans une société où le simple sang menstruel effraye et demeure incroyablement tabou (dans les publicités comme dans les interactions sociales et intimes), où les pertes blanches au fond de la culotte sont encore l’objet de honte et de sentiment d’anormalité… Ainsi, en février 2020, lors de la cérémonie des Oscars, la chaîne ABC interdit une publicité pour des produits d’hygiène post-accouchement qui dépeint de façon réaliste le quotidien des femmes à cette période, au motif qu’elle est « trop crue » – qualificatif récurrent et révélateur du mépris, du dégoût et de la peur qu’inspire toujours le corps « féminin ». Cette censure choque Ashley Graham, mannequin étatsunienne qui, en réaction, publie sur Instagram une photo d’elle après son accouchement avec le commentaire suivant : « Levez la main si vous ne saviez pas que vous alliez devoir aussi changer vos propres couches ».
Dans la foulée, quatre militantes féministes francophones17 lancent le hashtag #MonPostPartum sur Instagram et Twitter, ouvrant enfin la brèche aux prises de parole publique de mères sur les réalités du post-partum – des centaines en quelques heures – et suscitant une soudaine médiatisation et politisation de cette période de la vie.
#MonPostPartum 12 février 2020 illanaweizman
Me voici, portant une couche pour adulte, épongeant le sang qui coule pendant des jours et des semaines, le ventre encore gonflé, l’utérus encore étendu, les contractions qui le remettent doucement en place, les jambes bleuies, les points qui tirent, l’impossibilité de s’asseoir sans douleur, l’urine qui brûle, l’impression d’être passée sous un rouleau compresseur. Si on parlait davantage de ces sujets, si on ne les invisibilisait pas de façon systématique, les mères se sentiraient moins isolées, moins démunies. Préoccupez-vous des mères, mettez en lumière leur vécu.
Tous les prénoms et pseudonymes extraits du forum de Maman Blues ont été anonymisés.
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Baby blues, dépression post-partum… des termes peu parlants
D’un côté, baby blues, qui désigne l’état dépressif transitoire qui jalonne les premiers jours voire semaines après l’accouchement, renvoie à quelque chose de léger, une petite mélancolie mignonne et sans importance. De l’autre, pour parler d’un mal-être qui s’installe et qui s’aggrave, on parle de « dépression post-partum », voire de « psychose puerpérale », des termes médicaux qu’il est difficile de s’approprier et qui sont très stigmatisants et restrictifs car les mères peuvent aller mal sans avoir tous les signes cliniques de la dépression, et/ou sans avoir vécu de grossesse et d’accouchement (adoption). C’est pourquoi l’association Maman Blues, engagée sur ces questions, préfère parler de « difficultés maternelles ».