Sortir au jour

Un scandale industriel à l'épreuve de la poésie

Type : enquête & analyse, entre les lignes de mire

Thèmes : communauté, corps, discrimination, inégalités, silence, soin

Illustration : Une équipe de forage, dont les ouvriers ne portent pas de protection respiratoire, pose dans le tunnel de Hawk's Nest en 1931. Elkem Metals Collection/West Virginia State Archives.

En 1936, la poétesse Muriel Rukeyser se rend à Gauley Bridge, en Virginie-Occidentale (États-Unis), où 764 ouvriers viennent de mourir de la silicose lors d'un chantier hydroélectrique. Mêlant la poésie au témoignages, aux archives et aux notes de terrain, elle propose un singulier "Livre des morts" en hommage aux victimes. Traduit en 2017 en français aux Éditions Isabelle Sauvage, ce texte dresse la cartographie mémorielle, sensible et politique d’un désastre industriel et de la lutte pour sa reconnaissance.

En 1930, tandis que les États-Unis sont plongés dans la Grande dépression, un nouveau chantier s’ouvre en Virginie-Occidentale. C’est une aubaine dans cette région frappée par le chômage depuis la fermeture de nombreuses mines. Conçu par l’Union Carbide & Carbon Corporation, qui rassemble des filiales dans les domaines de l’électrométallurgie, de l’électrochimie et de la chimie synthétique, ce grand projet hydroélectrique est implanté à l’endroit où la New River et la Gauley River confluent pour former la rivière Kanawha, tout près de la ville d’Alloy. Présenté comme un projet d’intérêt général – produire de l’électricité pour les besoins publics et privés –, cet aménagement est en réalité prévu pour apporter du courant bon marché à l’Electro Metallurgical Corporation, une fabrique d’alliage d’acier située à proximité, également possédée par la Union Carbide & Carbon Corporation.

À l’époque, plusieurs chantiers hydroélectriques massifs redessinent le cours de grands fleuves et le paysage national. Passant outre plusieurs législations1, la Kanawha Power Company, créée en 1927 dans le but de superviser le chantier, charge l’entreprise Rinehart & Dennis de la construction d’un tunnel de cinq kilomètres à Hawk’s Nest pour acheminer les eaux de la New River jusqu’aux générateurs d’une centrale hydroélectrique en construction près de la ville de Gauley Bridge. Les travaux débutent avec d’autant plus de hâte que le futur tunnel traverse des dépôts de silice très pur, minerai précieux pour l’électro-traitement de l’acier.

Rinehart & Dennis embauche 2 500 travailleurs pour creuser le tunnel. Certains viennent des villes miniè­res voisines mais la plupart viennent de l’Ohio, du Maryland, du Delaware et du sud des États-Unis. Des travailleurs agricoles et des mineurs, pour la plupart africains-américains, arrivent par centaines en bus et sont logés dans des camps qui jouxtent le chantier, où ils doivent payer loyer, charbon et services du médecin2. Contraints par la compagnie de forer la roche gorgée de silice à sec par souci de rapidité3, ils gagnent entre 25 et 50 cents de l’heure et travaillent sans masque ni système de ventilation, inhalant énormément de poussière. Au bout de quelques mois à peine, des hommes commencent à mourir, asphyxiés.

 

Le scandale de Gauley Bridge

Au printemps 1936, Muriel Rukeyser, alors jeune poétesse de 23 ans lauréate du prix Yale Younger Poets Prize pour son premier livre Theory of Flight, part investiguer à Gauley Bridge avec son amie, la photographe Nancy Naumburg, à la façon des écrivain·es et photographes qui parcourent à l’époque le pays pour documenter la vie de ses habitant·es4. Proche du Parti communiste, Muriel Rukeyser est engagée dans une critique du capitalisme industriel. Elle écrit régulièrement pour le journal New Masses et, la même année, part en Espagne documenter la guerre civile.

À Gauley Bridge, son projet n’est pas d’alerter au sujet d’une situation déjà médiatisée. En effet, en 1936, le cas des travailleurs du tunnel n’est plus une question locale. Depuis l’ouverture du chantier, les morts se sont multipliés. 538 plaintes ont été déposées contre l’entreprise Rinehart & Dennis et contre la Kanawha Power Company par des travailleurs malades et leurs proches, qui cherchent à mettre en évidence les liens entre leurs conditions de travail et leur maladie : la silicose. Deux procès se sont tenus en 1933 et 19345. Mais surtout, le journal marxiste New Masses s’est emparé du sujet en 1935 et en a fait une affaire nationale. Une sous-commission d’enquête menée par le Labor Party s’ouvre au Congrès en janvier 1936. Si l’enquête n’est jamais saisie au niveau fédéral, des témoins sont reçu·es et les audiences permettent une première estimation du nombre de morts, établi alors à 476 (des études plus récentes le portent à 7646).

La silicose : La silicose est une maladie pulmonaire due à l’inhalation de silice, qui se manifeste par une fibrose progressive. Avec la mécanisation des mines qui s’accroît au début du XXe siècle, le nombre de travailleurs touchés par la silicose explose. Si cette dernière est connue depuis longtemps sous différentes formes selon les métiers – « asthme des mineurs », « phtisie des souffleurs de verre » « schistose des ardoisiers » – son ampleur suscite alors une nouvelle inquiétude. Dans le cas des travailleurs du tunnel de Gauley Bridge, elle a pris des formes aiguës, avec dégradation rapide de la capacité respiratoire et décès.

Muriel Rukeyser souhaite écrire autrement que dans le registre du scandale. Elle estime qu’il faut passer du temps auprès des vivant·es et des morts pour amplifier leur plainte, mais aussi relier cet événement à l’histoire nationale. Elle dispose d’un ensemble de documents, articles de presse, dépositions de témoins devant le Congrès et au cours des procès, qu’elle complète par des entretiens réalisés sur place avec des mineurs, des travailleurs et travailleuses du social, des familles, des habitant·es. Le poème qu’elle écrit dans les mois qui suivent dessine une carte sensible et mémorielle des environs d’Hawk’s Nest et de Gauley Bridge, qui est une manière de politiser ce paysage. Publié en 1938 sous le titre Le Livre des morts, il a suscité autant de gêne à l’égard de son « prosaïsme » que d’admiration devant les innovations textuelles et la place accordée au document7.

 

« Voici des routes à prendre quand tu penses à ton pays »

De nombreuses critiques l’ont souligné, Le Livre des morts est un projet topographique8. Il s’agit d’un poème composé en vingt sections dédiées à des lieux, du barrage Gauley Bridge à la ville d’Alloy, ainsi qu’à des personnages (le mineur Mearl Blankenship ou la travailleuse sociale Juanita Tinsley) ou des collectifs (le comité de défense, les médecins). L’écriture est composite : elle mêle des extraits d’archives, des citations d’entretiens qu’elle a réalisés sur place, des notes prises sur le vif et des vers élégiaques. Son livre s’inspire des formes propres aux démarches du cinéma et de la photographie documentaires alors en pleine émergence. Mais si le poème est situé et n’élude pas la réalité auquel il fait référence, il ne cherche pas non plus à passer pour un reportage. « La poésie peut prolonger le document » (« Poetry can extend the document »)9, écrit l’autrice pour décrire sa démarche.

Muriel Rukeyser écrit six ans après l’ouverture du chantier : la mémoire sociale de la catastrophe industrielle fait alors déjà l’objet d’une lutte. Le désastre a été publicisé, mais des confusions demeurent : les mineurs ont été suspectés de fraudes à l’assurance et de mauvaises mœurs, leurs avocats sont si corrompus que les réparations financières ont été infimes. C’est pourquoi le poème rend inaudibles et inefficients les discours diffamants et racistes des employeurs et constitue une chambre d’écho pour les voix qui ont été peu, mal ou pas du tout entendues. La voix qui ouvre et ferme le poème se débat et exige également de l’histoire collective qu’elle prenne soin des morts. Le titre est une référence au Livre des morts des Anciens Égyptiens, nom que l’on donne aux textes funéraires écrits sur des rouleaux de papyrus et posés auprès des mort·es selon une pratique en usage pendant des siècles en Égypte10. Ce que Muriel Rukeyser propose, c’est de s’arrêter à Gauley Bridge, de remonter les cours d’eau, de situer les morts et de « parler à partir d’eux », pour le dire à la façon de la philosophe Vinciane Despret11. Tandis qu’employeurs, médecins et journalistes se disputent l’estimation du nombre de morts dans un jeu de dupes, elle se propose d’apprendre autant que possible de ces derniers.

 

Faire reconnaître la silicose

Si la reconnaissance de la silicose comme maladie se précise à la fin du xixe siècle12, elle fait l’objet d’un déni tenace dans les milieux professionnels, tant de la part des employeurs, des médecins que des pouvoirs publics13, puisque son identification appelle un ensemble de protections sanitaires pour les travailleurs ainsi qu’une indemnisation des victimes.

Ce déni se trouve au cœur des procès intentés par les travailleurs d’Hawk’s Nest et leurs familles pour obtenir des compensations alors même que, du fait de la mécanisation des mines – productrice de poussière – les cas de silicose explosaient à l’époque. Les employeurs, aidés de certains médecins, ont joué les naïfs, prétextant que la silicose était un phénomène nouveau et que les risques étaient méconnus. Muriel Rukeyser prend le silence qui entoure la maladie comme un matériau. Elle convoque les paroles expertes pour en destituer la valeur : on devine la présence des employeurs dont les mots surgissent, par bribes, sans locuteur déterminé. Ceux des médecins en revanche sont bien identifiés mais présentés de sorte à leur faire honte : « M. Marcantonio. Ces facteurs aboutiraient à une silicose aigüe ? – Dr Goldwater. Sans vous offenser, je dirais “peut-être”. La médecine n’affirme rien. Nous parlons de possibilités, nous avons nos opinions. »14. Digérant les discours d’autorité, le texte recrache pêle-mêle les maladies inventées (la mystérieuse « tunnelite »), les diffamations sordides, la guirlande des faux diagnostics (« pneumonie, pleurésie, phtisie »), tout ce qui permettait de minorer les problèmes de santé des travailleurs ou de les expliquer par leurs conditions de vie, voire par leurs mœurs, plutôt que par leurs conditions de travail15.

Ces discours sont mis en miroir avec la production d’un savoir profane sur la maladie. Grâce au poème, d’autres voix font autorité : celle de Philippa Allen, travailleuse sociale dont la déposition introduit l’affaire, ou encore celle d’Emma Jones, mère de quatre garçons et épouse d’un homme décédés de la silicose. Cette dernière a obtenu la première preuve de la maladie : « C’est moi qui ai découvert ce qui tuait ces hommes […] Ils ont parlé de pneumonie au début. Ils ont affirmé que c’était de la fièvre […] Je suis allée mendier l’argent des radios, à l’hôpital de Charleston, ils ont fait les images des poumons. [Le médecin] a pris l’affaire en main quand les images ont été faites. » Muriel Rukeyser présente également un acteur absent des récits officiels : le Comité de Défense, collectif de malades et de proches fondé pour coordonner l’aide aux souffrants et obtenir des réparations financières. Dans une section intitulée « Éloge du comité », elle relate l’une de ses réunions, son climat à la fois fraternel et tendu, où s’entend « la toux habituelle ». Elle y met en scène les anciens mineurs George Robinson et Mearl Blankenship, Emma Jones, l’ingénieur Peyton, la travailleuse sociale Juanita Tinsley, mais aussi Madame Leek, cuisinière, et quatre foreurs ainsi qu’un garçon africains-américains, protagonistes de cette mémoire non officielle qu’elle s’efforce de recueillir. « Tous les hommes sont malades. Les femmes ne sont pas atteintes, ce n’est pas une maladie contagieuse » se disent-ils et elles. Le comité a bien plus contribué à l’identification de la maladie et au partage de la connaissance à son sujet que les experts médicaux – en constituant des corpus de faits et de preuves.

 

« Réinterroger le sol, le sous-sol, les rivières » - Frantz Fanon16

Le projet extractiviste d’Hawk’s Nest devient chez Muriel Rukeyser la figure d’un détraquement du sol. Elle met en scène le mineur George Robinson, au cœur de cette représentation : « L’eau qu’ils apportaient était pleine de poussière, l’eau qu’on buvait était pleine de poussière, les camps et les bosquets étaient blancs de poussière, on nettoyait nos habits mais on restait pleins de poussière. […] ça restait là, la pluie n’arrivait pas à l’enlever. » La poussière fait corps avec les travailleurs du tunnel et se fiche dans leurs poumons : « On dirait qu’une tempête de neige a frappé les poumons du gars. » Le Livre des morts offre une phénoménologie de cette toxicité et de sa perception. L’autrice en vient à poser un regard halluciné sur le paysage d’Hawk’s Nest qui voit la poussière blanche s’étendre partout comme une neige hypnotisante, des cours d’eau aux collines, jusqu’à faire bégayer son écriture dans une ritournelle affolée : « les blanches blanches collines qui dominent »…                                                                   Ô la neige vive l’eau blanche qui tombe, tombe, toute la journée la rivière descend la pente, inutile, elle a fait son travail de mort alentour, gorge fière et eau joyeuse

En dépeçant le sol, les aménagements industriels d’Hawk’s Nest produisent un monde littéralement sens dessus dessous. Rivières, collines changent de valeur, engagées dans un projet au nom duquel des vies qui ne comptent pas sont dépensées en nombre17. Comme si elle se prêtait au jeu, la New River « fait son travail de mort alentour ». Déviée, solidarisée au barrage, elle « ruisselle en continu […] en vague constante […] un cours d’eau total et ouvert […] sans âge ni heure ». Le poème décrit son mode d’existence appauvri et fonctionnel, à la façon des « flux intègres » dont le philosophe Frédéric Neyrat dit qu’« ils ont perdu le goût du fleuve »18. L’image est conçue pour lever une peur, celle qui pressent que la catastrophe ne laissera que peu de traces. De fait, le tunnel détourne aujourd’hui toujours les eaux de la New River pour produire de l’hydroélec­tricité servant à l’usine de métallurgie d’Alloy. Le projet d’Hawk’s Nest, malgré sa réputation de plus grand désastre industriel de l’histoire des États-Unis, fut un succès en termes d’ingénierie. L’écrivaine et poète Catherine Venable Moore, prenant le relais de Muriel Rukeyser, est revenue à Gauley Bridge dans les années 2000 dans une magnifique enquête guidée par Le Livre des morts pour recueillir l’empreinte de cette mémoire :

Peu après que le chantier prend fin, les cahutes des travailleurs ont été démantelées et un country club a été construit pour le loisir des employé·es de l’Union Carbide. Au milieu des années 1930, un parc national a été établi sur les lieux et le Civilian Conversation Corps a installé un charmant point de vue en pierre donnant sur ce qui est devenu la vue la plus incomprise et la plus photographiée de l’État : la New River, endiguée et amassée au-dessus du tunnel d’Hawk’s Nest. […] Il a fallu attendre cinquante ans pour que l’État fasse mention des morts sur le site. […] quatre-vingt ans pour qu’il réaménage le cimetière des travailleurs du tunnel.19

Catherine Venable Moore raconte aussi que dans les années 1980, un habitant s’est introduit dans l’usine hydroélectrique et y a dérobé une archive confidentielle constituée par l’Union Carbide & Carbon Corporation autour de la catastrophe, comprenant les rapports internes et les argumentaires sur lesquels la compagnie s’était appuyé lors des procès. Cette archive, qui a permis que la responsabilité de la compagnie ne soit jamais officiellement reconnue, documente cependant les noms et les âges de ceux dont les vies ont été prises20. Tous n’y sont pas parce que beaucoup d’hommes n’ont déclaré la maladie qu’après avoir quitté la région et que le turn over était important. Après avoir remis la main sur cette archive, Catherine Venable Moore prolonge Le Livre des morts en mettant cette liste en ligne aux côtés des rapports rédigés par la compagnie. Elle est publique et peut être trouvée à cette adresse : <hawksnestnames.org>.

 

Je suis devenu maître des eaux

Des cimetières géants où ont été enterrés en toute hâte les travailleurs, on peine à trouver le chemin :

« Où on va, là ? Là tourner et remonter le courant sur vingt mètres. Là, encore la route. Demander à l’homme sur la route. Réponse, Ce champ de maïs ? Après la deuxième colline, franchir le portail, attention aux chiens. […]

Je connaissais un homme qui est mort à quatre heures du matin dans le camp. À sept heures, sa femme a apporté de quoi habiller son mari mort, et aux pompes funèbres, ils lui ont dit qu’il était déjà enterré. » 

Central dans Le Livre des morts, le récit de George Robinson raconte la rapidité avec laquelle les morts ont été soutirés aux vivant·es. Les pompes funèbres, main dans la main avec les employeurs, ont enfoui la plainte que formulaient leurs corps, dont les poumons silicosés constituaient des pièces à conviction au cours des procès21. Enterrés sans façon, sans cérémonie, à plusieurs, sans « repères sinon des piquets en bois, carbonisés à la pointe, certains écornés et marqués (stylo ou ongle). Délavés ».

Dans le poème « Absalom », Muriel Rukeyser insère dans la déposition d’Emma Jones des extraits du Livre des morts des Anciens Égyptiens dont la traduction exacte serait plutôt Livre pour sortir au jour :

« Mon cœur est à moi dans

la chambre des cœurs,

ils m’ont rendu mon cœur, il est en moi.

Je suis devenu maître de mon cœur

Je suis devenu maître de mes deux mains

Je suis devenu maître des eaux

Je suis devenu maître de la rivière.

J’avance en plein jour, je suis né

une seconde fois,

Je force le passage, et je connais la porte

Je voyagerai sur toute la terre parmi

les vivants. »

Sortir au jour, celui des vivant·es. Ces incises sont autant de gestes de délicatesse à l’endroit des morts pour énoncer non seulement qu’ils ne seront pas oubliés, mais qu’ils ont leur place parmi les vivant·es, des gestes qui permettent d’établir une relation. L’écriture de Muriel Rukeyser réintroduit du rituel dans cette relation, de la lenteur, des précautions. Son poème constitue un tombeau autant qu’il invite les morts à venir hanter le panorama qui s’ouvre sur la New River.

 

[1]  La législation américaine requiert à l’époque une autorisation de la Commission fédérale d’électricité pour toute intervention sur un cours d’eau navigable.

[2]  Vladimir Pozner a dépeint les conditions de vie misérables de ces camps dans « Cadavres, sous-produits des dividendes » (extrait de Les États-Désunis, 1938), article reproduit dans Le Livre des Morts, trad. Emmanuelle Pingault, Éditions Isabelle Sauvage, Plounéour-Ménez, 2017.

[3]  Le forage à l’eau est plus lent mais limite l’émission de poussières.

[4]  On peut citer, entre autres, You Have Seen Their Faces de Margaret Bourke-White et Erskine Caldwell qui paraît en 1937 et Louons maintenant les grands hommes de James Agee et Walker Evans, publié en 1942.

[5]  Le jury était notoirement corrompu, et des avocat·es des plaignant·es ont touché de l’argent des deux compagnies. Des arrangements à l’amiable ont été conclus, avec des montants allant de 30 à 1 600 dollars, les travailleurs africains-américains touchant nettement moins que les Blancs. Les compagnies n’auront versé au total que 200 000 dollars de compensation.

[6]  Voir Martin Cherniack, The Hawk’s Nest Incident, Yale University Press, 1986.

[7]  Tim Dayton « The Critical Reception of The Book of the Dead », Muriel Rukeyser’s The Book of the Dead, University of Missouri Press, 2003.

[8]  La chercheuse Catherine Gander décrit minutieusement cet aspect dans son livre Muriel Rukeyser and Documentary:The Poetics of Connection, Edinburgh University Press Ltd, 2013.

[9]  Voir la postface d’U.S.1, Covici Friede Publishers, 1938.

[10]  Muriel Rukeyser l’a vraisemblablement vu au Metropolitan Museum of Art à New York, où il était exposé l’année de son séjour à Gauley Bridge.

[11]  Vinciane Despret, Au bonheur des morts, Éditions de la Découverte, 2015.

[12]  Paul-André Rosental, « De la silicose et des ambiguïtés de la notion de “maladie professionnelle” », Revue d’histoire moderne contemporaine, vol. 1, n° 56, avril 2009, p. 83-98.

[13]  Les historiens David Rosner et Gerald Markowitz ont méticuleusement décrit cette histoire et les processus de résistance aux États-Unis dans un livre qui a fait date, Deadly Dust: Silicosis and the Politics of Occupational Disease in Twentieth-Century America, Princeton University Press, 1994.

[14]  Les citations non sourcées sont toutes extraites du Livre des morts de Muriel Rukeyser, op. cit.

[15]  Sans compter que la silicose, en affaiblissant les poumons, favorise les co-infections comme la tuberculose ou celles liées au tabagisme, ce que les employeurs, avec le concours de nombreux médecins, n’ont pas manqué d’instrumentaliser.

[16]  « Le régime colonial a cristallisé des circuits et on est contraint sous peine de catastrophe de les maintenir. Il faudrait peut-être tout recommencer, changer la nature des exportations et non pas seulement leur destination, réinterroger le sol, le sous-sol, les rivières et pourquoi pas le soleil. », Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, Éditions de la Découverte, 2004, p. 97.

[17]  La petite fille d’Emma Jones rapporte à Catherine Venable Moore : « Voici ce que mon père m’a dit, et ce que je pense réellement : ils ont activement cherché des gens pauvres, désespérés et peu éduqués, et les ont envoyés ici. Des gens à sacrifier. Des gens qui ne manqueraient à personne », Catherine Venable Moore, « The Book of the Dead », Oxford America, 2016 (notre traduction).

[18]  Parlant de l’endommagement du monde par la mégamachine techno-capitaliste, Frédéric Neyrat montre combien la production de « flux », nous enjoignant à nous tenir tranquille dans un même courant,
a nécessité la destruction écologique des « flots ». Voir Clinamen. Flux, absolu et loi spirale, Ère, 2011, p. 12.

[19]  Catherine Venable Moore, « The Book of the Dead », art. cit., notre traduction.

[20 Ibid.

[21]  Un médecin a en effet conservé les poumons des enfants d’Emma Jones pour prouver qu’ils étaient atteints de silicose.

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