Numéro 5, printemps et été 2020

Dans ce cinquième numéro, alors que les raffineries tirent la langue et que Macron est un « pur schlag » (Jeanne Balibar), on s’inquiètera de la généralisation du travail gratuit, on se heurtera aux politiques migratoires qui transforment la Méditerranée en bain de sang, on prendra nos quartiers dans les immeubles austro-marxistes de Vienne, on lira le récit aussi intime que violent de la transexuelle brésilienne Princesa, on écoutera les voix étouffées des victimes du désastre industriel de Gauley Bridge (États-Unis), on râpera de la muscade sur l’autel du libre-échange, puis on imaginera vieillir dans une autre enveloppe grâce à la Réincarnation médicalement assistée. Régénérées, on s’armera alors de micros, d’aiguilles, de papier à lettre, de bottes en caoutchouc, d’amour et de rage pour nous pencher sur les articulations entre les luttes environnementales et les mobilisations de femmes.

Collaboratrices de ce numéro

Conception graphique de la couverture : All Kids in my Head

Conception graphique de la maquette : Éléonore Jasseny, à partir d'une maquette réalisée en collaboration avec Jeanne Gangloff et Félicité Landrivon.

Du piquet de grève au piquet-enquête

 

« Une grève invite toujours à remettre au centre l’identité du travailleur. Cependant, pour celles d’entre nous dont l’identité de travailleuse est disloquée (les aides-soignantes, les travailleuses du sexe, les assistantes sociales, les “freelance” précarisées de la traduction, du graphisme, du journalisme, de l’investigation, les enseignantes, les nettoyeuses, les étudiantes-travailleuses de Télépizza, les vagabondes d’un marché du travail de plus en plus paupérisé), la grève reste un mystère. […] Notre question est donc : quelle est notre grève ? » Telles sont les réflexions qui animent en juin 2002 les membres du collectif « Precarias a la deriva », formé à Madrid dans une maison squattée par des femmes alors que les syndicats appellent à la grève générale contre la réforme du chômage.

Conscientes que toutes les personnes précaires ne peuvent pas faire grève en raison des divisions économiques et sociales qui les traversent, les Precarias proposent de transformer le traditionnel « piquet de grève » en « piquet-enquête » : « Nous ne nous voyions pas sermonner une précaire payée à l’heure dans un supermarché, ou faire fermer le petit commerce du coin d’une immigrée : qui, en fin de compte, avait été convoqué à cette grève ? Pour qui avait-elle été pensée ? […] Il nous a donc semblé plus intéressant de nous déplacer en meute au cœur de la ville et d’interpeller les autres précaires. Tu débrayes ? Pourquoi ? Dans quelles conditions travailles-tu ? De quelles ressources disposes-tu pour faire face à ce qui te paraît injuste ? »1

Ces piquets-enquêtes ont donné lieu à une cartographie madrilène des lieux de la précarité féminine, mais aussi à un film, un livre, des enregistrements, etc., permettant l’émergence de toute une narrativité politique à partir de l’expérience des concernées. Par leur orientation profondément féministe, les membres du collectif « Precarias a la deriva » ne limitent pas le terme « précarité » au monde du travail et s’intéressent aux effets de la domination patriarcale et raciale sur la vie quotidienne des femmes et des personnes minorisées – la grève générale concerne aussi le travail domestique ou le travail gratuit des femmes.

Particulièrement sensibles à ces sujets — à Panthère Première, les statuts d’auto-entrepreneuses, d’intermittentes, les cumuls de CDD, les prestations à la mission, les doubles voire triples emplois partiels dépassent en nombre les contrats en CDI2 —, on a choisi d’ouvrir la revue avec un long entretien sur l’expansion du travail gratuit dans les entreprises et les services publics, analysée au prisme de la pensée féministe. En attendant le prochain piquet-enquête…

Bonne lecture !

« Le travail domestique est la matrice pour penser le travail gratuit »

Réflexions sur les frontières du travail avec Maud Simonet

Propos recueillis par Julia Burtin Zortea, Lucie Gerber

Alors que la gestion de la pandémie de COVID-19 accélère les dynamiques de mise au travail de certaines catégories de population par l'État sans contrepartie financière (ou si peu), nous vous proposons la lecture de cet entretien avec la sociologue Maud Simonet publié dans le dernier numéro de Panthère Première (printemps-été 2020), paru juste avant le confinement.

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2262

Combien de victimes des politiques migratoires européennes en Méditerranée ?

Texte de Pierre Isnard-Dupuy

Les chiffres, notamment à travers la statistique, saturent les médias, les analyses, la publicité. Obscurs, abstraits, réducteurs ou mensongers, ils construisent un monde en trompe-l’œil et font écran à des réalités bien concrètes. Dissection du numéro gagnant.

Vienne Rouge

Habiter le socialisme

Série réalisée par Edwin Fauthoux-Kresser

À Vienne, en Autriche, une habitant·e sur quatre bénéficie aujourd'hui d'un logement social, héritage d'une politique municipale radicale menée dans les années 1920. Retour en photographies sur une expérimentation sociale et urbaine de l'austro-marxisme.

dossier : Marthe attaque !

La question militaire, la politique énergétique d'un pays, l'aménagement public-privé du territoire sont réputés affaires complexes et sérieuses. Qu'y entendent les non expert·es et les non élu·es, à fortiori "les bonnes femmes" censées se concentrer sur la reproduction et le soin de la vie humaine ? Ces cinquante dernières années, certaines ont pourtant précisément puisé dans cette responsabilité pour s'opposer à une modernité destructrice, quand d'autres mettaient les pieds dans le plat sans se soucier de l'étiquette. Contre la catastrophe qui vient, contre celles déjà survenues, elles ont lutté et luttent encore en occupant, chantant, dansant, brodant ou en sabotant...

If you love this planet

Des femmes contre le nucléaire

Texte de Isabelle Cambourakis, Coline Guérin

Comment construire une position antinucléaire à partir des questionnements féministes ? Dans les années 1970, elles furent peu nombreuses à chercher cette articulation et leurs efforts ont été largement oubliés. Pourtant, ces positions méconnues et ces combats constituent aujourd'hui un héritage à réinvestir...

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« Greenham partout ! »

Images d'archives

Texte de Laurence Marty

En 1981, en Angleterre, quelques femmes s'installent à proximité de Greenham Common pour protester contre les stockage de missiles nucléaires. Le campement non-mixte qui se met progressivement en place restera actif pendant près de vingt ans.

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Quand les fleuves ne répondent plus

Contre les barrages au Brésil : lutter, broder, filmer

Texte de Nathalia Kloos

Au Brésil, le film "Arpilleras : en brodant la résistance" donne la parole aux femmes du Mouvement des personnes atteintes par les barrages. Celles-ci s'emparent de la broderie pour raconter les destructions qu'elles ont subies et réaffirmer leurs manières de vivre après la catastrophe.

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Au seuil de la catastrophe

Entretien avec YUKARI, auto-évacuée de l'accident nucléaire de Fukushima

Propos recueillis par Rina Kojima, Masatoshi Inoue, Sara Aguiton

En 2011, YUKARI habitait avec ses enfants à 50 kilomètres de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Suite à son explosion, elle a décidé de quitter la zone irradiée de son propre chef, entrant par là dans la catégorie des "auto-évacué·es", le nom donné aux victimes non reconnues par l'État.

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Marcher contre l’abominable

Retours sur un week-end antinucléaire et féministe à Bure

Texte de Nik et Nuk Léaire, Illustration de Léa Le Cozanet

Les 21 et 22 septembre 2019, à Montiers-sur-Saulx, près de Bure, s’est tenu un rassemblement antinucléaire et féministe, une première dans le coin ! Panthère Première y était avec une bande de copines. L’une d’elles avait donné rendez-vous à sa mère, Nadine, en lutte contre l’enfouissement des déchets nucléaires à cet endroit depuis près de vingt-cinq ans. On lui a parlé féminisme, elle a répliqué territoire.

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Sortir au jour

Un scandale industriel à l'épreuve de la poésie

Par Elvina Le Poul

En 1936, la poétesse Muriel Rukeyser se rend à Gauley Bridge, en Virginie-Occidentale (États-Unis), où 764 ouvriers viennent de mourir de la silicose lors d'un chantier hydroélectrique. Mêlant la poésie au témoignages, aux archives et aux notes de terrain, elle propose un singulier "Livre des morts" en hommage aux victimes. Traduit en 2017 en français aux Éditions Isabelle Sauvage, ce texte dresse la cartographie mémorielle, sensible et politique d’un désastre industriel et de la lutte pour sa reconnaissance.

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La Lionne

Un poème de Adrienne Rich, Texte traduit par Cyril Vettorato

La Lionne dévoile l'une des manières dont Rich pouvait travailler les mythes et l'imaginaire dans un sens nouveau, faisant émerger un point de vue étouffé jusque-là, rebâtissant à partir de lui une histoire et une parole.

Resilience Resort

Ehpad karmique

Un roman-photo d' Amélie Laval

Bienvenu·es dans un Ehpad dernière génération, qui vient d'inaugurer son service de RMA (réincarnation médicalement assistée) !

L’Île aux muscadiers

Organiser la rareté, faire naître la révolte

Texte de Grégoire Chamayou

Au XVIIe siècle, la Compagnie des Indes instaure un monopole sur le commerce des épices. Destruction, appropriation et exploitation, la fin justifie les moyens quand il s'agit de s'assurer un contrôle exclusif de la ressource. Cas pratique, la noix de muscade.

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Horoscopo de l’an V après Panthère

Texte de Laura Vazquez, Dessins de Boris Pramatarov