Le dilemme de Cologne

Quel espace politique pour les femmes racisées ?

Été « burkini », bar de Sevran, femmes « en voie de disparition » à La Chapelle… Le débat public mêle allègrement féminisme instrumentalisé et racisme décomplexé. Entre le marteau et l'enclume, quel espace politique pour les femmes racisées ?

Je ne me souviens pas du jour où j’ai compris que j’étais une femme. Ou plutôt, compris ce que c’était qu’une femme. Pas seulement quelqu’un qui pouvait porter des robes, avoir les cheveux longs, un jour des seins, peut-être maman. Non, quand j’ai compris que c’était être moins. Il n’y a pas eu de déclic, de révélation, d’un jour au lendemain. Plutôt une succession d’infimes déconvenues, d’incompréhensions, de petits agacements. Les découvertes terribles sont rares : en cours de français, Virginie [1] préfère se noyer plutôt qu’ôter la robe lourde qui l’assassine – l’enseignante commentait l’entreprise d’édification morale, j’avais un trou dans le ventre. Je n’avais pourtant pas bronché en regardant quelques années plus tôt Belle se vendre à la Bête pour la dignité de son père – images gentiment terribles qu’on montre aux petites filles et qui s’inscrivent, je crois, jusque dans la chair et règlent mieux la conduite que les leçons de politesse.

Je ne me souviens pas non plus m’être découverte racisée [2].Nous étions algériens, c’était une langue dans la maison, une seconde couleur de passeport, des habitudes familières. C’était aussi cette absurde mention « nationalité étrangère » sur ma convocation aux épreuves du brevet qu’il avait fallu faire corriger; un pays que certains fantasmaient comme un autre « chez-moi », et je crois que ça ne m’ennuyait pas trop d’avoir une plage en vacances pour second chez-moi; et d’autres choses moins agréables, j’étais enfant quand l’image de l’arabe-terroriste a supplanté celle de l’arabe-voleur [3].

Je n’ai pas oublié, cependant, la première fois où l’injustice que cela impliquait m’a frappée, et ce n’était alors qu’un chagrin d’enfant. J’avais cinq ans, six ans peut-être, et devant le grand miroir du couloir, chez ma grand-mère, nous faisions des mines avec ma cousine. Elle jetait ses cheveux en arrière, longs, lisses et clairs. J’avais beau secouer la tête, les miens, de cheveux, tressés haut sur le crâne, couronnés de frisottis, demeuraient parfaitement inertes. J’ai fondu en larmes sur les genoux de ma mère – pourquoi mes cheveux ne bougeaient-ils pas, pourquoi n’avais-je pas droit à l’ondoyance, aux reflets brillants, pourquoi fallait-il les enrouler dans un cordon la nuit, les attacher le jour. J’ai pleuré, je n’ai jamais aimé ces cheveux, je les ai torturés quelque temps, ils profitent maintenant d’une tranquillité discrète. Je voulais qu’ils bougent enfant, je les porte enfermés aujourd’hui – trop nombreux, trop frisés, trop voyants. Ce jour-là, j’étais triste parce que dans le miroir, je ne ressemblais pas aux modèles de filles et de femmes que déjà nous avions appris à poursuivre; et je n’y ressemblais pas parce que j’étais arabe. La question de mon propre rapport à mon corps et à ma féminité a toujours été, aussi, celle de ma racisation; de la même manière qu’ils ont toujours été appréhendés par autrui à travers ce prisme racial : mes cheveux de femme, ma peau de femme, mon corps de femme est un corps d’arabe.

La géométrie ou la vie

Je suis perplexe quand certaines disent : « Je me sens arabe, je me sens noire, avant de me sentir femme. » Je comprends, bien sûr, ce qu’elles veulent dire, le récit et la proposition politique contenus dans cette affirmation, mais je ne parviens pas à sentir quelque chose de semblable. Pourtant, on s’interroge rarement sur ces femmes qui ne sont que des femmes – qui oublient ou ne savent pas qu’elles sont également blanches. Ce carcan de femme si serré qu’il fait corps, qui démange atrocement dès lors qu’on remarque son existence, que je sens chaque jour, il croise ses mailles avec le filet de la race, et jamais mon expérience concrète ne démêle ce tissage étroit. Cette double appartenance sociale s’incarne, je crois, chez l’individu dans son inextricable unité. Il n’y a pas de rapports sociaux de genre qui ne soient médiés par la race; il n’y a pas de rapports sociaux de race qui ne soient médiés par le genre. On n’est jamais que femme : on est femme-arabe, femme-blanche, femme-pauvre; et alors femme n’est plus exactement la même chose.

La notion d’intersectionnalité s’est installée ces dernières années dans le langage militant, en même temps qu’elle suscitait l’intérêt académique, au sein d’espaces politiques et scientifiques français plus habitués à interroger les interactions entre la classe et le genre qu’à travailler les rapports sociaux de race. Dans son acception de plus en plus commune et populaire, l’intersectionnalité peut se résumer à la prise en compte des positions sociales se trouvant à l’intersection de plusieurs axes de domination. Au sein des groupes dominés, il s’agit de déplacer le regard sur ces positions marginales qui ne correspondent pas à leurs représentations archétypales : les femmes victimes de sexisme ne sont pas toutes blanches, les racisés victimes de racisme ne sont pas tous des hommes. De ce constat, l’approche intersectionnelle fait une proposition politique, contre l’exclusion de certains groupes des représentations et des agendas militants minoritaires. Celle-ci semble aujourd’hui devoir se réaliser soit à travers l’organisation de mouvements autonomes issus de ces groupes, soit par l’effort d’« inclusivité » affirmé par les mouvements plus traditionnels.

L’approche intersectionnelle porte un risque, l’idée que ces positions d’intersection ne concerneraient que certains groupes, minoritaires parmi les minorités. Les femmes racisées, au croisement de rapports de genre et de rapports de race, subiraient une domination patriarcale et une domination raciste, comme autant de jougs qui viendraient s’ajouter. Les femmes blanches quant à elles, ne subiraient que – la grammaire oblige à de stupides euphémismes – le sexisme : elles seraient ainsi seulement femmes, quand d’autres seraient femmes et arabes; femmes et noires. Cette idée que certaines positions seraient plus intersectionnelles que d’autres renforce le biais même que ce paradigme entend renverser. En invisibilisant la spécificité des positions dominantes, en passant sous silence la prise de la blanchité et de la masculinité sur les individus, on échoue à penser l’imbrication des structures de domination. Il y aurait des situations qui seraient en elles-mêmes simples : l’homme vainqueur et ses subordonnés : la femme, l’arabe; quand d’autres seraient complexes, tant socialement que politiquement.

La nécessité de rétablir une symétrie d’analyse politique entre ces différentes positions sociales, prises dans une pluralité de structures de domination, ne doit cependant pas conduire à une appréhension cumulative de l’imbrication. Elle amènerait à penser les hommes racisés comme à la fois bénéficiant des « privilèges » associés à leur sexe et souffrant des discriminations propres à leur statut de racisé, chacun allant indépendamment des autres. Cette approche simpliste ne correspond à aucune appréhension matérielle des conditions de vie des individus : les femmes racisées issues de quartiers défavorisés rencontrent par exemple moins de barrières à l’entrée du marché du travail que les hommes racisés issus des mêmes milieux sociaux – mais les emplois qu’elles occupent en nombre sont ceux de ménage, de care, résolument féminins. De la même manière, les femmes blanches ne sauraient être considérées comme étant à la fois dominées en tant que femmes et dominantes en tant que blanches : leur appartenance au groupe blanc est irrémédiablement traversée par leur condition subalterne de genre, elles ne sont blanches qu’en tant qu’elles appartiennent aux hommes du groupe dominant, et c’est comme objet de convoitise qu’on leur enseigne à craindre l’homme racisé.

Prises entre deux feux

Marginalisées car minoritaires parmi les minoritaires, les femmes racisées continuent d’être particularisées lorsqu’elles sont envisagées comme l’incarnation de l’articulation du genre et de la race – alors que pourtant aucun individu n’échappe à cette emprise coalisée. Supposées cumuler deux types distincts de domination, elles feraient face à un dilemme, et donc à un choix, entre deux appartenances de groupe, deux causes de lutte, deux ensembles d’intérêts – souvent différents, parfois irréconciliables. Comme si sexisme et racisme se vivaient de manière distincte : somme de servitudes contre somme de violences, qu’il serait possible de mettre en balance, dont il serait possible d’évaluer les désavantages respectifs afin de privilégier la fidélité à un groupe plutôt qu’à un autre, la lutte féministe plutôt que le combat antiraciste. Tandis que les femmes (blanches) et les (hommes) racisés feraient face à leur ennemi principal respectif, pouvant s’accorder le loisir de jouer un rôle d’allié·es dans des luttes connexes, forcément secondaires, qui ne les concerneraient pas à titre particulier, les femmes racisées coincées entre deux adversaires féroces, attaquées sur deux fronts, devraient choisir lequel fortifier.

Je ne parle pas seulement ici d’un choix théorique, de l’établissement stratégique d’un plan militant, d’une décision politique dont l’objectif d’efficacité mobilisatrice pousserait à choisir un mot d’ordre, un ennemi, un combat. Je parle aussi de cette injonction systématique à laquelle font face les femmes racisées, prises à partie par des allié·es politiques importun·es à chaque mobilisation, à chaque indignation, à chaque affaire qui mêlerait sexisme et racisme. La manipulation raciste d’un féminisme de façade chez celles et ceux qui prétendent protéger nos droits de femmes bafoués par les hommes racisés ; l’appel opportun au ralliement et à la solidarité de celles et ceux qui entendent nous convaincre de prioriser nos urgences. Et par-dessus tout, le soupçon permanent et unilatéralement partagé : traîtresses à la cause, complices dévoyées du pouvoir blanc ou esclaves consentantes du patriarcat.

S’il fallait trouver un nom à cela, on pourrait l’appeler le dilemme de Cologne [4]. Pris·es entre deux feux – un crime sexiste d’ampleur, la dénonciation violemment raciste à laquelle il donne lieu – nous avons peu de solutions sinon le silence, la compromission, ou les tentatives discrètes de dire la part des choses. Mais l’horreur supporte mal la part des choses et les voix qui s’y risquent semblent souvent condamnées à être couvertes par le fracas des charges unilatérales. L’affaire de Cologne m’a tétanisée : horrifiée par la possibilité du crime – dont on ignore encore aujourd'hui la réelle teneur –, j’ai maudit Daoud [5], puis fini par ne plus lire aucune analyse, qui me jetaient toutes en fureur.

Et il y a eu Sevran, l’affaire falsifiée de ce bar PMU supposément interdit aux femmes [6]. Ce qui est arrivé à Sevran – bien que rien ne soit proprement arrivé à Sevran, bien qu’il soit aujourd’hui avéré qu’il ne s’est agi que d’une énième manipulation médiatique raciste, bien que ce bar ne soit pas interdit aux femmes, que des femmes le fréquentent tous les jours ; mais finalement que quelque chose se soit passé ou non, les réactions ont bien eu lieu, elles, et ce sont elles qui sont intéressantes, car elles révèlent l’injonction double et contradictoire qui ne trouve de solution que dans le silence forcé ou stratégique – a frontalement interrogé la possibilité d’articuler, sans indulgence, un discours antiraciste et féministe cohérent. Parce qu’il est inacceptable que l’enjeu féministe qu’est l’accès de l’espace public aux femmes puisse être ainsi manipulé au service d’un agenda raciste : il ne fait en effet aucun doute que la démarche de ce reportage, sa conception, son objectif, son traitement journalistique et les réactions politiques qu’il a provoquées s’inscrivent dans un contexte raciste et islamophobe, en ce qu’ils perpétuent l’idée d’un patriarcat spécifique des hommes arabes ou noirs qui étendrait son pouvoir aux marges de la République, patriarcat qui serait intimement lié, non pas à des pratiques religieuses (puisqu’enfin, on picole dans un bar), mais à une culture musulmane, un esprit musulman, qui gangrènerait peu à peu ces territoires perdus. Mais parce qu’il demeure cependant absolument révoltant d’envisager que des espaces continuent d’être interdits aux femmes – et nous savons toutes combien ils sont nombreux, même lorsqu’ils ne sont pas explicitement, réglementairement, strictement interdits, ils n’ont pas besoin de l’être (et de toutes façons, plus rien ne nous est plus interdit, n’est-ce pas ?), nous savons toutes la gêne, l’hésitation, l’illégitimité à entrer dans un espace masculin, masculin par sa population, masculin par les activités qui s’y tiennent, masculin par sa raison d’être même, PMU, métros nocturnes, salles de réunion, les regards qui font baisser les yeux, qui font se sentir soudainement impudique par le simple fait de se tenir là.

Certains ont tenté, à l’occasion de cette affaire, de dénoncer la manipulation raciste sans rien céder du terrain féministe. La plupart de ces tentatives m’ont laissé un goût amer. Face aux photographies jaunies de cafés ouvriers qu’ils ont exhumées, j’ai grincé des dents comme je l’avais fait devant les images de femmes en habits de bain Années folles qui ont fleuri l’été du burkini. « Pratiques d’un autre siècle », ça n’a jamais consolé personne et ça ne fait qu’entretenir l’idée évolutionniste qu’il ne manque à ces gens que du temps pour accéder à la civilisation et qu’il ne reste finalement à leurs femmes qu’à faire œuvre de patience. D’autres ont cherché à dénoncer la manipulation en prouvant que le bar était bien mixte, comme Clémentine Autain qui s’est fait prendre en photo à son comptoir. Preuve, j’imagine, que n’importe quelle femme pouvait s’accouder à ce comptoir. Preuve fallacieuse, car quand Autain s’accoude à ce comptoir, je sais seulement qu’une femme blanche – et pas n’importe quelle femme blanche – peut s’accouder à ce comptoir. Je ne sais pas comment on m’accueillerait, moi, si j’y commandais un demi. Cette image, qui entend contrer la charge raciste, fait Autain femme universelle, symbole d’un féminisme résolument antiraciste, capable de voir par-delà la manipulation et de dépasser les fausses oppositions.

Ce faisant, les femmes racisées ont cessé d’exister. Et elles cessent d’exister pour leur bien : leur bien de femmes et (« et » mais pas ensemble, « et » mais distinctement) leur bien de racisées, qu’elles payent de leur entièreté.

La tribune et l'échafaud

C’est parce que je voudrais éviter ces amertumes futures que je crois que nos loyautés suspectées ne doivent pas nous pousser à la discrétion ou au compromis. Je pense que le risque de voir notre parole récupérée ou détournée ne doit pas nous encourager à laisser la place à celles et ceux qui sont entier·es – tout entier·es à leur combat principal –, aux femmes qui sont aussi blanches, aux racisés qui sont aussi des hommes. Parce qu’il en va de notre intérêt de concilier revendications féministes et antiracistes, qui ne peuvent nous apparaître comme contradictoires sous prétexte qu’elles le sont pour les voix autorisées ; car la masculinité chez les racisés, comme la blanchité chez les femmes, ne sont pas des luxes auxquels on tourne facilement le dos.

Cet exercice de conciliation invite à l’exigence politique, envers nous-mêmes comme avec nos allié·es déclaré·es. En premier lieu, elle nécessite que nous abandonnions l’idée naïve que les discours dominés seraient porteurs d’une justesse politique intrinsèque – qu’ils seraient nécessairement cohérents avec une entreprise de libération effective des groupes dominés de leur condition subalterne. Quelle infantilisation, quelle condescendance dans cette dispense accordée à la parole des femmes racisées qui, échappant à l’analyse politique rigoureuse, est condamnée à demeurer mineure. Je crois que les femmes racisées ne seront pas considérées comme de vraies actrices politiques tant que l’on continuera de nous proposer la tribune en nous évitant l’échafaud. Je ne crois pas qu’une idée soit nécessairement féministe du seul fait qu’elle est portée par une femme. Je ne crois pas que l’objectif ultime du féminisme réside dans l’existence d’un choix pour les femmes : je crois que son ambition porte plutôt sur la qualité des options auxquelles elles peuvent prétendre. Et en effet, nous ne sommes pas toutes d’accord sur ces options et sur leur qualité – leur qualité politique – parce qu’une condition subalterne partagée ne produit pas naturellement des intérêts convergents, ni leur conscience évidente, et nous ne pouvons dès lors nous contenter de porte-paroles déclarées. Je ne veux pas qu’on nous nie le droit aux désaccords politiques, à la pluralité politique – qui n’est pas l’apanage des groupes majoritaires.

Il ne s’agit de nier la légitimité d’aucun mouvement autonome féministe et antiraciste : je nous veux conquérir chaque morceau du monde et que toutes les femmes puissent n’importe où parler, raisonner et se battre. Mais je refuse d’avoir pour seule exigence la qualité sociale des individus lorsqu’il s’agit de nouer des alliances politiques. Ces dernières années, une diversité de mouvements militants de femmes racisées a émergé : ils portent des revendications, des idées, des visions politiques différentes, divergentes, parfois incompatibles. Il nous faut à la fois exiger la pleine reconnaissance de la légitimité et de l’importance de leur existence, et la stricte analyse des projets politiques qu’ils promeuvent. L’inclusivité prônée dans les milieux militants ne saurait résumer l’ambition du paradigme intersectionnel : celle-ci doit être la pleine reconnaissance des femmes racisées comme actrices politiques – à écouter et à critiquer, à suivre ou à combattre. L’indépendance conquise par les femmes racisées vis-à-vis des mouvements féministes traditionnels ne peut pas, non plus, justifier la distance respectueuse – j’oserais, indifférente – adoptée par de nombreuses féministes blanches qui, en refusant de porter un jugement politique sur des sujets qui ne les regarderaient pas, choisissent d’entériner l’existence d’une étrangeté, d’une altérité incompressible entre elles et nous.


J’ai souvent l’impression d’être coincée entre le marteau et l’enclume, entre la normalisation violente du racisme et de l’islamophobie et la constitution de fronts antiracistes qui ignorent tout enjeu féministe – ou en tordent le sens. Dans ces conditions, je crois que le seul moyen dont je dispose pour ne plus devoir être confrontée à ce faux dilemme qui oppose féminisme et antiracisme, c’est d’être intransigeante avec les sirènes d’un front comme de l’autre.

Cette intransigeance que je souhaiterais commune est, je crois, la condition nécessaire d’une alliance politique réelle entre les différentes composantes sociales du groupe des femmes. Elle sera, sans doute, une construction branlante ; et nous devrons sans cesse nous employer à la préserver du paternalisme et de l’invisibilisation raciste.

Ensuite, il faudra naviguer à vue, prudemment, résolument, entre deux rangées d’écueils. Mais, en ce qui nous concerne, nous passons après tout notre vie à apprendre à le faire.

[1] Alors que le bateau sur lequel elle voyage est en train de couler, Virginie préfère mourir noyée plutôt que retirer sa robe trop lourde pour nager : « Virginie, voyant la mort inévitable, posa une main sur ses habits, l'autre sur son cœur, et levant en haut des yeux sereins, parut un ange qui prend son vol vers les cieux » (Paul et Virginie, Bernardin de Saint-Pierre, 1788).

[2] Le terme « racisé » désigne les personnes perçues comme appartenant à une catégorie raciale minoritaire. Il permet de révéler l’assignation raciale non pas comme une qualité de l’être, mais comme un processus social systémique et quotidien.

[3] J'écris « arabe » (comme d’ailleurs « noir » ou « blanc ») sans majuscule car il ne s’agit pas, ici, de nommer les membres d’un peuple ou d’une communauté, mais de désigner les individus par le groupe racisé auquel ils appartiennent objectivement ; c'est-à-dire par leur position sociale. Ne sont pas arabes seulement celles ou ceux qui s’identifient à cette catégorie, mais toutes celles et ceux qui y sont assignés, quelle que soit la façon dont ils se définissent eux-mêmes.

[4] Pendant la nuit du 31 décembre 2015, une vague d'agressions sexuelles a lieu dans la ville allemande de Cologne. Les jours suivants, de nombreux médias et hommes politiques allemands et européens ont accusé des réfugiés d’avoir commis et coordonné ces agressions, remettant en cause les conditions d’accueil des migrants. Aujourd’hui, si le déroulement des faits demeure trouble, la théorie d’une attaque coordonnée de réfugiés a été écartée.

[5] Le 31 janvier 2016, Kamel Daoud, écrivain algérien, publie une tribune dans Le Monde intitulée « Cologne, lieu de fantasmes », dans laquelle il dénonce le « rapport malade à la femme » des hommes arabes et musulmans.

[6] Journal télévisé de 20 heures sur France 2, le 7 décembre 2016.

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